CE, 3 mars 2017, n° 401395

M. A. a travaillé depuis plus de trente ans comme ouvrier d'État au sein de la direction des constructions navales (DCN) de Toulon dans des ateliers l'exposant aux poussières d'amiante. A ce titre, il a été admis au bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à compter du 1er janvier 2012. Sans être atteint d'une pathologie liée à l'amiante, il a demandé réparation à l'État du préjudice subi en raison de l'inquiétude permanente de développer une telle pathologie et des troubles dans ses conditions d'existence.

La cour administrative d'appel de Marseille a fait droit à sa demande et a condamné l'État à verser à l'intéressé une somme de 12 000 euros au titre de son préjudice moral et de 2 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence.

Le ministre de la défense se pourvoit en cassation au motif que la cour aurait confondu les troubles dans les conditions d'existence invoqués par M. A. avec le chef de préjudice moral déjà indemnisé.

Le Conseil d’État précise tout d’abord que « le requérant qui recherche la responsabilité de la personne publique doit justifier des préjudices qu'il invoque en faisant état d'éléments personnels et circonstanciés pertinents ; que la circonstance qu'il bénéficie d'un dispositif de cessation anticipée d'activité à raison des conditions de travail dans sa profession ou son métier et des risques susceptibles d'en découler sur la santé, ou de tout autre dispositif fondé sur un même motif, ne dispense pas l'intéressé, qui recherche la responsabilité de la personne publique à raison des fautes commises en sa qualité d'employeur, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés ».

Il ajoute toutefois que, les travailleurs des DCN ayant été exposés à l'amiante ont bénéficié d'un dispositif spécifique de cessation anticipée d'activité sur la base de la prise en compte de leur situation personnelle pendant leur période d'activité.

Les dispositions législatives et réglementaires relatives à cette allocation spécifique de cessation anticipée d'activité visent à tenir compte, pour les personnes qui remplissent à titre individuel des conditions de temps, de lieu et d'activité limitativement définies, du risque élevé de baisse d'espérance de vie du fait de leur exposition effective à l'amiante. « Par conséquent, dès lors qu'un ouvrier d'État ayant exercé dans la construction navale a été intégré dans ce dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, compte tenu d'éléments personnels et circonstanciés tenant à des conditions de temps, de lieu et d'activité, il peut être regardé comme justifiant l'existence de préjudices tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ».

Ainsi, la décision de reconnaissance du droit à cette allocation vaut reconnaissance pour l'intéressé d'un lien établi entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie, et cette circonstance, qui suffit par elle-même à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade, est la source d'un préjudice indemnisable au titre du préjudice moral.

Le pourvoi du ministre de la défense est donc rejeté.

 
Notes
puce note CE, 3 mars 2017, n° 401395
 
 
La Semaine juridique, n° 9-10,  7 mars 2016, conclusions prononcées par Rémi Decout-Paolini, rapporteur public dans l'affaire du CE, 18 décembre 2015, n° 374194 (commentée dans Vigie n° 76 - Janvier 2016) "Sous quel régime de congé de maladie - et avec quels effets - l'administration doit-elle placer un fonctionnaire souffrant d'une dépression imputable au service ? ", pp. 28 à 34
La Semaine juridique, n° 47 - 23 novembre 2015, conclusions prononcées par Gilles Pellissier, rapporteur public, dans l'affaire du CE, 21 septembre 2015,  n° 372624, (commentée dans Vigie n° 73 - Octobre 2015) "Clarifications sur les champs respectifs de la mesure d'ordre intérieur et de la mesure prise en considération de la personne", par Serge Deygas, pp. 34 à 40
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