Le Conseil d’Etat juge pour la première fois qu’un agent contractuel de l’Etat employé pendant plus de six ans dans les mêmes fonctions auprès de différents employeurs peut obtenir un CDI s’il est prouvé un lien entre les relations de travail, conférant à ces employeurs une unicité
Les affaires n° 422866 et 422874 concernent deux anciens agents du CNRS employés dans le cadre de contrats à durée déterminée (CDD) successifs. Dans l’affaire n° 422866, Monsieur B a été embauché en CDD par le CNRS comme ingénieur, puis par l’Université de Lille comme attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) tout en continuant ses activités de recherche au CNRS, et enfin par l’Institut Pasteur afin de mener de nouvelles recherches au CNRS. Dans l’affaire n° 422874, Monsieur A, également ingénieur embauché au CNRS, a ensuite conclu un contrat avec l’Université Provence-Aix-Marseille au sein du même laboratoire, puis un contrat de prestation de services avec le CNRS et cette Université sous le statut d'auto-entrepreneur. Estimant avoir dépassé la durée de six années de services publics effectifs auprès du même employeur, les intéressés ont demandé au CNRS la transformation de leur CDD en CDI, ce qui leur a été refusé. Ils ont alors introduit un recours contentieux.
Dans la première affaire, le Tribunal administratif de Lille a annulé la décision du CNRS et enjoint ce dernier de proposer à l'intéressé un contrat à durée indéterminée (CDI). Dans la seconde affaire, le Tribunal administratif de Marseille a, au contraire, rejeté la demande du requérant. Saisies en appel, les Cours administratives d’appel de Marseille et de Douai ont estimé que les services effectués dans le cadre de ces contrats devaient être pris en considération pour le calcul de la durée des six ans travaillés auprès du CNRS et justifiaient, en conséquence, une CDIsation. Le CNRS s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat juge qu’aux termes de la lecture combinée de l'article 6 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat et de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (dite « Loi Sauvadet ») : « Lorsqu'un agent demande la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée, il appartient au juge administratif, saisi par l'intéressé, de rechercher, en recourant au besoin à la méthode du faisceau d'indices, si en dépit de l'existence de plusieurs employeurs apparents, l'agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès d'un employeur unique. Ces indices peuvent être notamment les conditions d'exécution du contrat, en particulier le lieu d'affectation de l'agent, la nature des missions qui lui sont confiées et l'existence ou non d'un lien de subordination vis-à-vis du chef du service concerné. ». Faisant application de cette méthode aux cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge dans la première affaire que les contrats successifs n’ouvraient pas droit à la CDIsation car, d’une part, le CNRS n’est pas l’employeur du contrat d’ATER et que, d’autre part, les fonctions d’ATER ne constituent pas un travail exclusif de recherche. Dans la seconde affaire, il confirme au contraire le jugement rendu par la Cour administrative de Marseille : « en jugeant que le recours à un contrat de prestation de services avec M. A... était entaché de détournement de procédure dans le but de ne pas le faire bénéficier d'un contrat à durée indéterminée en application des dispositions de l'article 8 de la loi du 12 mars 2012, la cour n'a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis. En en déduisant que cette période de prestations de service devait être incluse dans la durée des services publics effectifs accomplis auprès du CNRS au sens de ces mêmes dispositions, la cour n'a pas non plus commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. ».
Dans la première affaire, le Tribunal administratif de Lille a annulé la décision du CNRS et enjoint ce dernier de proposer à l'intéressé un contrat à durée indéterminée (CDI). Dans la seconde affaire, le Tribunal administratif de Marseille a, au contraire, rejeté la demande du requérant. Saisies en appel, les Cours administratives d’appel de Marseille et de Douai ont estimé que les services effectués dans le cadre de ces contrats devaient être pris en considération pour le calcul de la durée des six ans travaillés auprès du CNRS et justifiaient, en conséquence, une CDIsation. Le CNRS s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat juge qu’aux termes de la lecture combinée de l'article 6 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat et de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (dite « Loi Sauvadet ») : « Lorsqu'un agent demande la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée, il appartient au juge administratif, saisi par l'intéressé, de rechercher, en recourant au besoin à la méthode du faisceau d'indices, si en dépit de l'existence de plusieurs employeurs apparents, l'agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès d'un employeur unique. Ces indices peuvent être notamment les conditions d'exécution du contrat, en particulier le lieu d'affectation de l'agent, la nature des missions qui lui sont confiées et l'existence ou non d'un lien de subordination vis-à-vis du chef du service concerné. ». Faisant application de cette méthode aux cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge dans la première affaire que les contrats successifs n’ouvraient pas droit à la CDIsation car, d’une part, le CNRS n’est pas l’employeur du contrat d’ATER et que, d’autre part, les fonctions d’ATER ne constituent pas un travail exclusif de recherche. Dans la seconde affaire, il confirme au contraire le jugement rendu par la Cour administrative de Marseille : « en jugeant que le recours à un contrat de prestation de services avec M. A... était entaché de détournement de procédure dans le but de ne pas le faire bénéficier d'un contrat à durée indéterminée en application des dispositions de l'article 8 de la loi du 12 mars 2012, la cour n'a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis. En en déduisant que cette période de prestations de service devait être incluse dans la durée des services publics effectifs accomplis auprès du CNRS au sens de ces mêmes dispositions, la cour n'a pas non plus commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. ».
Notes
CE, n° 422866, mentionné aux Tables du Recueil Lebon |
AJDA n° 29 / 2017 - 11 septembre 2017, "Durée de services publics effectifs : une application audacieuse de la loi "Sauvadet" - La cour administrative d'appel de Douai juge que les périodes d'activité professionnelle effectuées pendant au moins six ans par un agent territorial auprès de deux employeurs publics, avec les mêmes missions et objectifs, et sur un même lieu de travail, justifient l'application de la loi du 12 mars 2012. Et ce, alors même que certaines de ces périodes ont été exécutées sous contrat emploi solidarité, contrat de droit privé" , conclusions de Monsieur Hadi Habchi, rapporteur public dans l'affaire CAA de Douai, 1er juin 2017, n° 15DA00920, pp. 1684 à 1687
La Semaine juridique, n° 19 - 15 mai 2017 "Une erreur sur le décompte des jours de congés n'entraîne pas nécessairement l'annulation de toute la procédure de licenciement", par Laurence Marion, rapporteur public dans l'affaire CE, 15 mars 2017, n° 390757, (commentée dans Vigie n° 90 - Avril 2017), pp. 35 à 36
AJDA n° 19 / 2017 - 29 mai 2017, "Le contentieux du licenciement pour perte d'emploi des contractuels : l'un et le multiple", commentaire de l'avis du CE, 23 décembre 2016, n° 402500, (commenté dans Vigie n° 87 - Janvier 2017), par Sylvain Niquège, pp. 1132 à 1135
La Semaine juridique, n° 21 - 29 mai 2017 "La titularisation des contractuels des collectivités territoriales par la voie de la sélection professionnelle", Conclusions de Denis Perrin, rapporteur public dans l'affaire du TA de Lille, 13 décembre 2016, n° 1601200, pp. 38 à 40.
(La loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, a mis en place des procédures de titularisation des contractuels par la voie notamment d’une sélection professionnelle.
(La loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, a mis en place des procédures de titularisation des contractuels par la voie notamment d’une sélection professionnelle.
Dans ce cadre, il appartient à chaque collectivité de fixer le nombre d’emplois ouverts par grade dans un programme pluriannuel d’accès à l’emploi titulaire. Une commission de sélection professionnelle dresse, selon l’article 20 de la loi, la liste des agents aptes à être intégrés en tenant compte des objectifs du programme pluriannuel d'accès à l’emploi titulaire.
Le tribunal a précisé le régime juridique de cette voie d’accès à la fonction publique :
- il a d’abord jugé que la décision de la commission de sélection fixant cette liste est susceptible de recours ;
- il a ensuite considéré que la commission ne pouvait déclarer apte un nombre de candidats supérieurs au nombre de postes ouverts).
AJDA, n° 27/2016 - 25 juillet 2016, " Licenciement justifié d'un directeur de la culture pour insuffisance managériale", conclusions prononcées par Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public dans l'affaire du CE 20 mai 2016, n° 387105, (commentée dans Vigie n° 81 - Juin 2016), pp. 1533 à 1535
La Semaine juridique, n° 27 - 11 juillet 2016, " Qui assistera les assistants familiaux lors de l'entretien préalable à son licenciement ? ", conclusions prononcées par Gaëlle Dumortier, rapporteur public dans l'affaire du CE 30 mai 2016, n° 381274, (commentée dans Vigie n° 81 - Juin 2016), pp. 28 à 30
La Semaine juridique, n° 28 - 18 juillet 2016, " Reclassement d'un agent recruté par CDI : obligation, dans tous les cas, de maintenir la durée indéterminée du contrat ", conclusions prononcées par Vincent Daumas, rapporteur public dans l'affaire du CE 13 juin 2016, n° 387373, (commentée dans Vigie n° 82 - Juillet 2016), pp. 27 à 30
La Semaine juridique, n° 5 - 8 février 2016, conclusions prononcées par Vincent Daumas, rapporteur public dans l'affaire du CE, 30 septembre 2015, n° 374015 (commentée dans Vigie n° 73 - Octobre 2015) "CDD conduisant, en cours d'exécution du contrat, à dépasser la durée maximale de six ans prévue à l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 : pas de requalification en CDI ", pp.40 à 44
La Semaine juridique, n° 5 - 8 février 2016, conclusions prononcées par Vincent Daumas, rapporteur public dans l'affaire du CE, 30 septembre 2015, n° 375730 (commentée dans Vigie n° 73 - Octobre 2015) "Recrutement sur les emplois fonctionnels mentionnés à l'article 47 de la loi du 26 janvier 1984 : le recours au CDI est possible", pp. 44 à 47