Publication du rapport de la mission « haute fonction publique », dit rapport Thiriez

Le 25 avril 2019, le Président de la République a appelé, dans son discours de clôture du grand débat national, à une réforme ambitieuse de la haute fonction publique française. Frédéric Thiriez a été chargé, au printemps 2019, de conduire une mission ayant pour objectif de réviser les modalités de recrutement dans la haute fonction publique, la formation des hauts fonctionnaires, leurs parcours de carrière et l’accès aux grands corps. Le rapport consécutivement produit a été officiellement présenté au Premier ministre le 18 février 2020.


Le rapport s’ouvre sur plusieurs constats. Les auteurs décèlent d’abord une diversité insuffisante parmi les lauréats aux concours de la haute fonction publique, marquée par une sur-représentation des classes supérieures et des candidats ayant suivi des préparations aux concours parisiennes, ainsi qu’une répartition déséquilibrée des sexes. Ils constatent également une baisse d’attractivité des carrières publiques, qui s’est traduit notamment par une diminution significative du nombre de candidats depuis 2010 alors que le nombre de postes offerts a concomitamment augmenté. Les auteurs estiment que la multiplication du nombre de grandes écoles de service public a « empêch[é] l’émergence d’une culture commune chez ceux qui y sont formés et favorise le corporatisme ». Enfin, ils soulignent une perte de confiance des citoyens envers leurs élites politiques et administratives. Pour répondre à ces enjeux, les rapporteurs formulent 42 propositions, structurées en trois axes.


Le premier axe du rapport, intitulé « décloisonner la haute fonction publique », comporte plusieurs propositions visant à réformer la formation des hauts fonctionnaires.

La mission propose d’organiser une formation en deux temps pour les lauréats externes des concours suivants : Ecole nationale d’administration (ENA), Institut national des études territoriales (INET), Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), Ecole nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S), Ecole nationale de la magistrature (ENM), Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) et Ecole nationale supérieure de police (ENSP). Les écoles seraient réunies dans un groupement d’intérêt public (GIP). La formation débuterait par un tronc commun, d’une durée de six mois, permettant « de créer une culture partagée et d’encourager le travail en transversalité ». Cette formation commune comprendrait trois semaines de préparation militaire supérieure, trois semaines consacrées à l’encadrement de jeunes du service national universel, deux semaines d’enseignement sur des thématiques transversales telle que la déontologie, et quatre mois de stage opérationnel. Les élèves effectueraient un stage dans une administration nationale ou déconcentrée, une collectivité territoriale, un hôpital, une juridiction, un service de police, un organisme européen ou un établissement pénitentiaire, par groupe de sept, à raison d’un élève par école. A l’issue de ce tronc commun, les élèves rejoindraient leurs écoles d’application respectives pour y recevoir une formation plus spécialisée.

Le rapport émet plusieurs propositions concernant la structuration des écoles, désormais qualifiées d’écoles d’application. Ainsi il est proposé de fusionner l’EHESP et l’EN3S dans une nouvelle Ecole des Hautes études de la santé et de la sécurité sociale qui formerait les directeurs d’hôpital, les directeurs d’établissements médico-sociaux et les dirigeants des organismes de sécurité sociale. La mission propose que les statuts juridiques des écoles soient harmonisés, afin de les transformer, à terme, en établissements publics administratifs (EPA) ou en établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Le recrutement et la formation des administrateurs civils de Paris, actuellement assurés par l’ENA, pourraient être transférés à l’INET. Enfin, la mission propose de créer une école d’administration publique (EAP) qui accueillerait les élèves de l’actuelle ENA et les ingénieurs des quatre corps techniques (Mines, IPEF, Armement et INSEE) et formule deux hypothèses d’organisation :
  • L’actuelle ENA deviendrait un établissement d’enseignement supérieur et de recherche, associé à une université de rang mondial. L’EAP assurerait la formation de ses élèves pendant une année, diplômante (mastère spécialisé, bac +6) et qui comprendrait des périodes communes, puis des parcours différenciés en fonction des filières choisies.
  • L’EAP serait une école « plateforme » sur le modèle de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) originelle, c’est-à-dire qu’elle disposerait de capacités d’accompagnement plutôt que de capacités d’enseignement propre. Ainsi, durant une période de formation commune, les élèves pourraient en parallèle suivre des formations dans d’autres établissements. L’EAP aurait pour objectif de conseiller les fonctionnaires dans leurs choix de formation.

La première partie du rapport comprend également des propositions relatives à l’affectation des élèves à l’issue de leur scolarité. La mission suggère de supprimer les classements de sortie puisque cette logique, selon les auteurs, « ne garantit nullement l’adaptation des profils des candidats aux besoins des administrations employeurs » et pourrait peser sur la scolarité des élèves, en freinant toute tentative de diversification des enseignements. Pour y remédier, la mission propose que le choix des postes en fin de scolarité se fasse par le rapprochement des vœux des élèves et des souhaits des administrations. La « matière dominante » choisie par les élèves en début de scolarité, ainsi que les notes obtenues entreraient également en compte.

Les postes proposés en sortie d’école seraient également revus : la mission propose notamment de réduire le nombre de postes d’administrateurs civils aux ministères économiques et financiers, au profit de ceux offerts dans les ministères sociaux, chargé de l’environnement et de l’Intérieur. Elle propose également que les administrateurs civils et ingénieurs soient affectés un an au moins dans un service déconcentré ou sur une « mission prioritaire » avant de rejoindre l’administration centrale.

La mission formule plusieurs propositions relatives à l’accès aux « grands corps » et imagine deux options. La première consiste à supprimer les grands corps et transformer les emplois correspondants en emplois fonctionnels sur lesquels les candidats seraient nommés pour une durée déterminée par voie de détachement : cette solution est retenue pour les grands corps d’inspection. En revanche, la mission envisage de maintenir les grands corps juridictionnels, c’est-à-dire le corps des membres du Conseil d’Etat et le corps des magistrats de la Cour des comptes : ils seraient soit transformés en « corps de débouchés », accessibles seulement après quatre ans de service, soit toujours accessibles en sortie d’école mais les élèves ne pourraient être titularisés qu’après plusieurs années en service, notamment auprès d’une administration déconcentrée. Par ailleurs, l’accès au grade sommital de chaque corps (conseiller d’État, conseiller-maître) ne serait plus acquis automatiquement à l’ancienneté mais conditionné à l’accomplissement d’une période de mobilité de trois ans sur un poste opérationnel à niveau de responsabilité élevé.


Enfin, le rapport suggère de conserver la marque « l’ENA internationale » qui constituerait une filiale de l’EAP, chargée d’actions de formation aux questions européennes, de la préparation des hauts fonctionnaires européens à la présidence tournante de l’UE, du Cycle des hautes études européennes (CHEE) et de la préparation aux concours de la fonction publique européenne.


La seconde partie du rapport a pour objet de traiter la diversification du recrutement dans la haute fonction publique.

La mission suggère de revoir la nature des épreuves pour supprimer les épreuves qu’elle qualifie de « socialement discriminantes », comme la composition de culture générale. Elle propose également de recourir davantage à des matières à options qui permettraient de valoriser la diversité des parcours antérieurs des candidats.

La mission souhaite réduire ou supprimer les recrutements parallèles, comme les concours des magistrats administratifs et financiers ou le concours des conseillers du cadre d’Orient. Elle entend également généraliser la voie d’accès réservée aux docteurs, telle qu’elle existe actuellement à l’ENA et dans les corps techniques.

Le rapport prévoit la création de vingt nouvelles classes préparatoires « égalité des chances » (CPE). A l’inverse des classes préparatoires intégrées (CPI), elles ne seraient plus intégrées aux écoles mais organisées en collaboration avec elles. Les élèves des CPE seraient sélectionnés sur des critères sociaux et au regard de leurs mérites académiques.

Une proposition du rapport consiste à créer un concours spécial ou une voie d’accès « égalité des chances » à destination des élèves des nouvelles CPE. Ce concours externe spécifique pourrait représenter, selon les écoles, jusqu’à 10 à 15 % des postes offerts aux concours.

La mission propose également de créer un concours professionnel unique qui se substituerait aux actuels concours internes, troisièmes concours, tours extérieurs des administrateurs civil, conseillers de tribunaux administratifs et sous-préfets, ainsi qu’aux voies parallèles d’accès à la magistrature par intégration. Il serait ouvert aux candidats justifiant d’un diplôme de niveau licence et d’au moins six ans d’expérience professionnelle dans le secteur privé ou public. Ce concours pourrait notamment reposer sur une analyse de dossier professionnel, une note sur dossier et un oral. La voie professionnelle donnerait directement accès à l’école d’application, sans passer par le tronc commun prévu à l’issue du concours externe.

Enfin, il est suggéré de mieux faire connaître les métiers de la haute fonction publique par une politique de communication à destination du grand public.


Le troisième axe du rapport produit vise à dynamiser les carrières. Il comporte des propositions variées parmi lesquelles la reconnaissance juridique de la catégorie A+, la publication systématique des postes vacants pour les emplois à la décision du Gouvernement, ainsi que le renforcement des DRH ministérielles.

La mission propose la création d’un Institut des hautes études du service public (IHESP) ouvert aux « hauts fonctionnaires susceptibles d’être nommés sur des fonctions managériales de haut niveau ». La scolarité se déroulerait sur une année et à temps partiel.

Enfin, la mission suggère que soit examinée la possibilité de promouvoir au choix, chaque année, plusieurs cadres sur des postes de sous-directeur pour une durée de trois ans. A l’issue de ces trois ans, ils pourraient être intégrés dans le corps de hauts fonctionnaires correspondant à leur filière métier.


Le Premier ministre a confié à Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Action et des Comptes Publics, le soin de procéder à l’instruction des propositions de la mission.

Une stratégie d’action, prenant en compte certaines de ces propositions, sera mise en place prioritairement autour des cinq axes suivants :
  • La diversification sociale et géographique : cet axe comprendra notamment la création de classes « égalité des chances » sur l’ensemble du territoire, l’intégration systématique d’un quota de boursiers dans l’ensemble des masters et classes préparatoires aux grandes écoles de la fonction publique et des actions de tutorat à destination des élèves dès le collège ;
  • Le décloisonnement des formations de hauts fonctionnaires, notamment via le développement d’un tronc commun de formations et d’expériences de travail en commun entre les écoles de service public ;
  • Le renforcement opérationnel de la formation, qui passera par une modification des épreuves du concours dans un sens moins académique, ainsi que de la formation, notamment pour y intégrer un engagement citoyen obligatoire et/ou une préparation militaire ;
  • La fin de la titularisation et de l’avancement automatiques dans les grands corps ;
  • La mise en place d’un Institut des hautes études du service public (IHESP) destiné à la formation continue des cadres supérieurs.
 
Notes
puce note Rapport de M. Frédéric Thiriez, Mission Haute Fonction Publique
 
 
A consulter sur le site collectivites-locales.gouv.fr, fiche explicative sur "les conséquences des fusions d'EPCI sur les personnels dans le cadre de la mise en oeuvre des schémas départementaux de coopération intercommunale".

L'article 45 du décret n° 2017-556 du 14 avril 2017  permet, à titre dérogatoire pendant cinq ans, de détacher le fonctionnaire ayant occupé l'emploi fonctionnel de directeur général de l'un des EPCI fusionnés dans l'emploi fonctionnel de directeur général du nouvel EPCI fusionné, quelque soit son grade et la population du nouvel EPCI. La même disposition est prévue pour les fonctionnaires ayant occupé un emploi de directeur général des services techniques.

La loi NOTRe comporte, en son article 114, une disposition transitoire qui permet, depuis le 1er janvier dernier, aux titulaires des emplois fonctionnels de direction des EPCI fusionnés d'être maintenus en qualité de directeur général ou de directeur général adjoint des services du nouvel EPCI, jusqu'à la date de création des emplois fonctionnels et, au plus tard, six mois après la fusion.

Il est apparu toutefois que le changement de taille des EPCI fusionnés pouvait conduire à empêcher ensuite certains agents d'être confirmés dans les fonctions de DGS du nouvel EPCI parce que leur grade ne leur permettait pas d'être statutairement nommés à cette fonction en raison de la nouvelle strate démographique de l'EPCI issu de la fusion.

Afin de remédier à cette difficulté ponctuelle pour assurer la continuité dans les EPCI fusionnés, l'article 45 du décret n° 2017-556 du 14 avril 2017 portant modification statutaires applicables aux administrateurs territoriaux, aux ingénieurs en chef territoriaux et aux emplois administratifs et techniques de direction des collectivités territoriales permet, à titre dérogatoire pendant cinq ans, de détacher le fonctionnaire ayant occupé l'emploi fonctionnel de directeur général de l'un des EPCI fusionnés dans l'emploi fonctionnel de directeur général du nouvel EPCI fusionné, quelque soit son grade et la population du nouvel EPCI. L'échelonnement indiciaire applicable à l’intéressé sera, dans ce cas, celui correspondant à l'emploi le plus élevé que le fonctionnaire peut occuper dans son grade.

La même disposition est prévue pour les fonctionnaires ayant occupé un emploi de directeur général des services techniques.

AJDA, n° 13/2016 - 18 avril 2016, conclusions prononcées par Gaëlle Dumortier, rapporteur public, dans l'affaire CE, 27 janvier 2016, n° 384873 (commentée dans Vigie n° 77 - février 2016), "Les critères de l'emploi à la décision du gouvernement", pp. 740 à 743
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