Une décision créatrice de droits entachée d’un vice « danthonysable » ne peut être retirée ou abrogée, même dans un délai de quatre mois suivant la prise de cette décision

Mme A... B..., fonctionnaire territoriale relevant du corps des attachés territoriaux, a été nommée directrice générale des services de la commune de Bussy-Saint-Georges par arrêté du maire la détachant dans cet emploi fonctionnel. Moins de quatre mois plus tard, le maire a retiré l’acte portant nomination de Mme A... B... au motif que son détachement n’avait pas été précédé de la consultation de la commission administrative paritaire (CAP). Il l’a ainsi réintégrée dans son corps d’appartenance et l’a affectée à d’autres fonctions.

Mme A... B... a introduit un référé suspension devant le tribunal administratif de Melun visant à obtenir la suspension de l’exécution de l’arrêté de retrait de la décision la nommant directrice générale des services ainsi que des décisions prononçant sa réintégration et sa nouvelle affectation. Le juge des référés du tribunal administratif de Melun ayant rejeté ses demandes, la requérante se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat contre l’ordonnance rendue par le tribunal administratif.

Le Conseil d’Etat rappelle, en premier lieu, le principe découlant de sa jurisprudence Ternon (CE, Ass., Ternon, n° 197018, 26 octobre 2001), désormais codifié à l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), selon lequel le retrait d’une décision créatrice de droits n’est possible que si cette décision est illégale : « l’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ».

Il précise que si un vice de forme entraîne en principe l’illégalité d’une décision, un tel vice ne saurait affecter la légalité d’une décision administrative créatrice de droits que s'il a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie, selon sa jurisprudence Danthony (CE, Ass., Danthony, n° 335033, 23 décembre 2011) : « Un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable […] n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».

Conciliant les apports de ces deux jurisprudences, le Conseil d’État conclut en l’espèce « qu’une décision créatrice de droits, entachée d’un vice qui n’a pas été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision et qui n’a pas privé les intéressés d’une garantie, ne peut être tenue pour illégale et ne peut, en conséquence, être retirée ou abrogée par l’administration de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers, même dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ».

Il précise que « lorsque la loi ou le règlement prévoit la consultation préalable [d’une CAP] avant la décision de détachement, cette consultation constitue une garantie au bénéfice de l’ensemble des candidats à ce détachement ou susceptibles de l’être. Le défaut de cette consultation préalable ne peut en outre être regardé comme régularisé par la consultation [de la CAP] après la décision que dans les hypothèses où la loi ou le règlement permettent expressément de déroger au caractère préalable de la consultation, hypothèses dans lesquelles il n’est ni établi ni allégué que l’on se soit trouvé en l’espèce ».

En conséquence, les demandes de la requérante sont rejetées par la Haute juridiction.
 

Le droit à communication du dossier d’un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne s’étend aux témoignages recueillis par un corps d'inspection, sauf risque de grave préjudice pour les témoins

M. B..., alors qu’il était directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine (ENIM), a fait l’objet de signalements faisant état de situations pouvant constituer des faits de harcèlement à l'encontre de certains membres du personnel. Les ministres chargés de la tutelle de l’ENIM ont alors confié à l'inspection générale des affaires sociales et au conseil général de l'environnement et du développement durable une mission d'enquête administrative sur la manière dont l'intéressé assurait la direction de l'établissement. Le rapport de la mission d'inspection a conclu à l’absence de harcèlement mais à des modalités de gestion inadaptées et a recommandé qu'il soit mis fin à ses fonctions, dans l’intérêt du service. Cette recommandation a été suivie par le Gouvernement.

M. B... demande au Conseil d’Etat l'annulation pour excès de pouvoir du décret ayant mis fin à ses fonctions, soutenant que ce décret était intervenu en méconnaissance des droits de la défense, son dossier administratif lui ayant été communiqué seulement de manière partielle, expurgé des procès-verbaux des personnes entendues dans le cadre de l’enquête.

Le conseil d’Etat indique qu'une enquête administrative diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, entre dans les hypothèses lui ouvrant droit à communication de l’intégralité de son dossier. Il précise qu’en ce cas, « le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. »

Il juge ainsi que la décision contestée a été prise au terme d’une procédure irrégulière et annule, pour vice de forme, le décret présidentiel mettant fin aux fonctions de M. B…
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La médiation entre l’administration et les usagers fait l’objet d’un rapport d’information à l’Assemblée nationale

Le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a rédigé un rapport d’information sur l’évaluation de la médiation entre les usagers et l’administration, présenté par les députés Sandrine Mörch et Pierre Morel-à-l’Huissier.

Partant du constat que la confiance de la population à l’égard de l’administration s’est détériorée au gré des réformes qui ont complexifié certaines démarches et de la dématérialisation rapide qui peut isoler des catégories d’usagers, les rapporteurs estiment que « le médiateur fait figure de deus ex machina » en établissant le contact entre l’usager et l’administration et en imaginant des solutions pour apaiser les tensions.

Depuis la création du Médiateur de la République en 1973 (devenu Défenseur des droits en 2011), le nombre de médiateurs a considérablement augmenté, leurs domaines d’intervention se sont diversifiés et ils sont progressivement devenus « un rouage indispensable à la qualité du service public ». Ainsi, la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC) a officialisé la fonction de médiateur au sein des organismes de sécurité sociale, au niveau national et dans chaque caisse locale. Plus récemment encore, la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a créé un cadre législatif pour les médiateurs territoriaux mis en place au sein des collectivités territoriales.

Les rapporteurs soulignent que le nombre de demandes et réclamations dont sont saisis les médiateurs ne cesse d’augmenter, notamment en raison de la volonté croissante des usagers de comprendre les décisions prises à leur égard.

Cependant, les rapporteurs estiment que la médiation n’est pas assez organisée, notamment parce que les réclamations font parfois l’objet d’un suivi insuffisant et déplorent que certains médiateurs soient systématiquement sollicités à l’occasion de chaque réclamation formulée par un usager à l’encontre de l’administration. Le médiateur n’a pas vocation en effet à remplacer l’administration dans le traitement des demandes : les rapporteurs préconisent donc de mieux accompagner les usagers en amont de la médiation, notamment pour améliorer la visibilité des décisions rendues.

Le rapport se concentre sur l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire (MPO), prévue dans la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, et applicable à certains contentieux de la fonction publique et litiges sociaux. Les rapporteurs estiment que ce dispositif créé un espace de dialogue propice à l’écoute et à l’accès aux droits pour un public souvent vulnérable. Il constitue toutefois une procédure supplémentaire incontournable avant l’accès au juge, après le recours administratif préalable obligatoire (RAPO). Les rapporteurs recommandent ainsi que la lisibilité par les usagers de la MPO, et notamment son articulation avec le RAPO, soit prise en compte dans l’évaluation de l’expérimentation avant que celle-ci ne soit éventuellement généralisée.

Enfin, le rapport rappelle que la médiation doit avant tout être au service des usagers. Pour que la médiation leur soit plus accessible, la visibilité des médiateurs doit être améliorée : ils recommandent notamment que le recours possible au médiateur soit mentionné dans toutes les réponses aux réclamations et qu’il soit mieux référencé sur les sites des administrations. Le médiateur doit susciter la confiance des usagers. C’est pourquoi les rapporteurs proposent de renforcer les garanties d’indépendance les concernant. Pour être utile aux usagers, la médiation doit également être plus lisible et, à cette fin, les rapporteurs proposent de consacrer le Défenseur des droits comme coordonnateur des médiateurs institutionnels, sur le modèle de la proposition formulée dans le rapport de France Stratégie de juillet 2019 sur la médiation.

Outre les conclusions de ce rapport de France Stratégie, le rapport du comité d’évaluation et du contrôle des politiques publiques prend également en considération les échanges intervenus au cours des premières Assises nationales de la médiation administrative, organisées en décembre 2019 par le Conseil d’Etat (VIGIE n°118 – décembre 2019).
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