Simplification des modalités procédurales du code de justice administrative

Le décret n° 2019-82 du 7 février 2019 procède à un toilettage du code de justice administrative (CJA) en apportant, d’une part, des précisions à des dispositions existantes et, d’autre part, en renforçant les pouvoirs du juge dans la conduite de l’instruction ainsi qu’en procédant au recentrage des ressources des juridictions sur leurs activités principales.

Sur la compétence des juges, les articles 10 et 47 précisent l’un des chefs de compétence pour lesquels les Tribunaux administratifs peuvent statuer en formation à juge unique (3°, art. R. 222-13 du CJA) et rendre des jugements en premier et dernier ressort (7°, art. R. 811-1 du CJA). Au sujet des litiges en matière de pension, ils indiquent désormais que ces pensions sont celles qui sont relatives à la retraite des agents publics.

L’article 24 exclut les décisions prises pour l’exécution d’un contrat du champ de l’article R. 421-1 du CJA qui impose la liaison du contentieux avant toute saisine du juge.

Au titre des modifications apportées par le décret tendant à rationaliser l’organisation et le fonctionnement des juridictions administratives, l’article 12 prévoit que le juge d’appel peut statuer sur une demande de sursis à exécution en formation à juge unique, sans conclusions du rapporteur public (art. R. 222-25 du CJA).

L’article 17 permet désormais au Conseil d’État et aux Cours administratives d’appel de rejeter directement des requêtes relevant de la compétence d’une autre juridiction en se fondant sur le caractère manifestement irrecevable de la demande de première instance. Cette faculté n’était ouverte, jusqu’alors, que pour les requêtes entachées d’une irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance et pour constater le non-lieu à statuer sur tout ou partie des conclusions.

L’article 19 aligne les modalités de production des pièces jointes en version papier sur celles qui sont produites par voie dématérialisée. Désormais, le requérant qui omet d’accompagner les pièces jointes d’un inventaire détaillé et qui ne défère pas à l’invitation de régulariser cette omission, voit ses pièces écartées des débats (art. R. 412-2 du CJA). Cette sanction reproduit ainsi celle qui a été instituée pour les usagers de l’application Télérecours (art. R. 414-3 et R. 414-9 du CJA).

L’article 25 supprime la dispense d’avocat pour les litiges concernant la concession ou le refus de pension (art. R. 432-2 du CJA).

L’article 28 prescrit que les écritures autres que la requête introductive d’instance sont communiquées au greffe de la juridiction en double exemplaire (art. R. 611-1-1 du CJA), à moins qu’elles ne le soient via l’application Télérecours (art. R. 611-8-2 et R. 611-8-7 du CJA). Ainsi, cette obligation s’aligne sur celle qui s’imposait, jusqu’alors, aux requêtes (art. R. 411-3 du CJA) et aux pièces jointes (art. R. 412-2 du CJA).

Les articles 36 et 37 instituent de nouvelles hypothèses de clôture immédiate de l’instruction (art. R. 613-1 et R. 613-2 du CJA). Le président de la formation de jugement peut prendre une ordonnance de clôture avec effet immédiat lorsqu’une partie appelée à produire un mémoire n’a pas respecté, depuis plus d’un mois, le délai qui lui a été assigné par une mise en demeure indiquant la date ou la période à laquelle il est envisagé d’appeler l’affaire à l’audience (art. R. 613-1 du CJA). Il dispose, dans les mêmes conditions, de la faculté de prendre un avis d’audience qui emporte également la clôture de l’instruction à la date de son émission (art. R. 613-2 du CJA), par dérogation à la règle suivant laquelle, à défaut d’ordonnance de clôture, l’instruction est close trois jours francs avant la date de l’audience publique indiquée dans l’avis d’audience.

L’article 48 ferme la voie d’opposition à l’encontre des arrêts rendus par les cours administratives d’appel, à l’instar de ce qui existait jusqu’ici pour les tribunaux administratifs.
 

Les parties qui seraient présentes à l’audience sans leur avocat sont désormais invitées à prendre la parole, sous peine de rendre la décision irrégulière

Madame A, candidate à l’examen d’entrée au centre régional de formation professionnelle d’avocats (CRFPA), a été déclarée ajournée à l’issue des épreuves d’admissibilité par le jury d’examen.

Elle a demandé l’annulation de cette décision au Tribunal administratif de Paris qui a rejeté cette requête par un jugement dont elle a relevé appel et qui a, lui aussi, été rejeté par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris. L’intéressée s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’État.

La requérante reprochait aux juges d’appel de ne pas lui avoir permis de présenter des observations orales lors de l’audience publique à laquelle elle était présente, et de ne pas avoir tenu compte du fait que si elle était effectivement représentée par un avocat, celui-ci était néanmoins absent à l’audience. Pour accueillir ce moyen, le Conseil d’État a rappelé qu’aux termes de l’article R. 732-1 du code de justice administrative (CJA) : « Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l'article R. 222-13, le rapporteur public prononce ses conclusions lorsque le présent code l'impose. Les parties peuvent ensuite présenter, soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l'appui de leurs conclusions écrites. » Il déduit de ces dispositions que « devant les Tribunaux administratifs et les Cours administratives d'appel, les parties qui sont représentées par un avocat et qui ont présenté des conclusions écrites doivent, lorsque leur avocat est absent le jour de l'audience, être mises à même, si elles sont présentes, de présenter elles-mêmes des observations orales ». En l’espèce, l’intéressée était bien présente lors de l’audience publique, contrairement à son avocat. Or, le Conseil d’Etat relève que « les mentions de l'arrêt attaqué, qui ne sont contredites par aucune pièce du dossier, ne font, par ailleurs, pas état de ce que Madame A. a pris la parole à l'audience ».

Par conséquent, l’arrêt de la Cour administrative d’appel est entaché d’irrégularité, ce qui justifie son annulation.
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Les décisions implicites de rejet contre lesquelles le délai de recours contentieux ne court pas doivent être attaquées dans un délai raisonnable

Un ressortissant étranger a demandé, en 2004, à échanger son permis de conduire d’origine contre un permis de conduire français. Il a réitéré sa demande en 2014. Deux décisions implicites de rejet lui ont été opposées, respectivement en 2004 et en 2014.

L’intéressé a demandé au Tribunal administratif de Melun l’annulation de ces décisions de rejet et la réparation du préjudice consécutif au refus de l’administration de faire droit à sa demande. Il se pourvoit en cassation contre le jugement rejetant son recours.

Le Conseil d’État rappelle que, pour les décisions expresses, « le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ». Pour les décisions implicites, le Conseil d’Etat juge également qu’elles ne peuvent être contestées que dans un délai raisonnable à la condition, toutefois, qu’il soit établi que le requérant a eu connaissance de la décision implicite de rejet dont il a été le destinataire. Si, en principe, une décision implicite naît du silence gardé par l’administration pendant deux mois suivant la date à laquelle une demande lui a été présentée, « la preuve d’une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande ». Cette connaissance certaine ne peut résulter que de deux circonstances : soit que l’intéressé a clairement été informé des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande, le délai raisonnable d’un an commençant alors à courir à compter de la naissance de la décision implicite ; soit que la décision a été expressément mentionnée au cours d’échanges ultérieurs entre l’intéressé et l’administration, le délai courant alors à compter de l’évènement établissant que celui-là a eu connaissance de cette décision. Dans ces deux cas, le fait que l’intéressé n’ait pas été informé des délais et voies de recours fait seulement obstacle à ce que l’épuisement du délai de recours contentieux ne puisse lui être opposé. En revanche, il est, en toutes circonstances, tenu d’agir dans un délai raisonnable.

En l’espèce, le jugement attaqué a été annulé en ce qu’il a rejeté purement et simplement les conclusions en annulation dirigées contre la décision implicite de 2004 alors que les juges du fond n’ont pas vérifié si le requérant en avait eu connaissance à compter d’une date à partir de laquelle s’était écoulé un délai raisonnable d’un an.
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Le Conseil d’Etat précise les modalités de présentation des pièces jointes dans l’application Télérecours

Une société a introduit un recours devant le Tribunal administratif de Montreuil afin d’être déchargée de la cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie. Le Tribunal administratif n’ayant fait que partiellement droit à sa demande, la société requérante a relevé appel de son jugement devant la Cour administrative d’appel de Versailles. Celle-ci a rejeté ce recours pour irrecevabilité au motif que les pièces jointes à la requête n’étaient pas conformes aux exigences de l’article R. 414-3 du code de justice administrative (CJA).

Le Conseil d’État rappelle les règles applicables à la transmission des pièces jointes par le canal de l’application Télérecours. En principe, le requérant peut produire les pièces jointes soit par un fichier unique au sein duquel chaque pièce est répertoriée par un signet distinctif, soit par autant de fichiers désignés par un intitulé propre, pour autant que, dans l’un comme dans l’autre cas, l’intitulé du signet ou du fichier soit conforme à celui retenu dans l’inventaire (a minima, l’intitulé doit reprendre la numérotation retenue dans l’inventaire pour répertorier l’ensemble des pièces jointes). Dans l’hypothèse particulière où la requête comprend un grand nombre de pièces jointes qui constitue une série homogène (telles des factures par exemple), le Conseil d’État précise que le requérant peut les regrouper dans un ou plusieurs fichiers sans être tenu de les répertorier chacune par un signet. Cependant, celui-ci doit s’assurer que le référencement de ces fichiers ainsi que la numération, au sein de chacun d’eux, des pièces qu’ils regroupent sont conformes à l’inventaire.

Le Conseil d’Etat censure l’arrêt d’appel pour erreur de droit.

 
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Les juridictions administratives doivent fournir aux parties présentes à l'audience l’assistance qu’impose leur surdité

Monsieur A., atteint de surdité congénitale profonde, a fait une demande de carte de stationnement pour personne handicapée, qui lui a été refusée.

Il a saisi le Tribunal administratif de Paris en lui demandant de veiller à ce qu’un interprète en langue des signes soit présent lors de l’audience au cours de laquelle devait être examinée sa requête. Le Tribunal administratif a donné une suite défavorable à sa demande, l’invitant, faute pour le Tribunal de pouvoir lui proposer l’assistance qu’il demandait, à venir accompagné d’une personne de son choix capable d’assurer la traduction. Il s’ensuit que le requérant, en l’absence de l’assistance qu’il demandait, n’a pu présenter aucune observation lors de l’audience. Celui-ci a donc saisi le Conseil d’Etat en cassation, lui demandant d’annuler le jugement rendu dans ces conditions.

Le Conseil d’État a rappelé l’obligation faite aux juridictions, en application du premier alinéa de l’article 76 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées de fournir aux personnes présentes à l’instance qui en font la demande en temps utile l’assistance qu’impose leur surdité. Le Conseil d’État juge ainsi que, sauf à ce qu’il soit établi que l’absence de l’assistance sollicitée n’a pas privé l’intéressé de la possibilité de présenter des observations au cours de l’audience ou une note en délibéré à l’issue de celle-ci, la méconnaissance de l’obligation rappelée ci-dessus entache en principe d’irrégularité la décision de la juridiction. En l’espèce, la méconnaissance des dispositions précitées a motivé l’annulation du jugement attaqué, puisque le refus du Tribunal administratif de donner suite à la demande de l’intéressé a privé ce dernier de la possibilité de présenter ses observations à l’audience, alors qu’il avait expressément formulé une demande en ce sens une dizaine de jours avant l’audience.
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Une décision de refus de promotion dans un grade supérieur ne peut être contestée par voie d’exception que dans un délai d’un an à compter du jour où son destinataire en a eu connaissance

Monsieur A., fonctionnaire à France Télécom, a demandé en vain sa promotion dans le corps des contrôleurs divisionnaires de France Télécom. Quelques années après, il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite. Le Tribunal administratif de La Réunion a rejeté son recours visant à demander l’annulation de son titre de pension en tant qu’il prévoit sa liquidation sur la base d’un indice inférieur à celui dont il aurait bénéficié s’il avait été promu.

Le Conseil d’État censure le jugement attaqué au motif que les juges du fond ont soulevé d’office un moyen d’ordre public sans le soumettre préalablement au débat contradictoire, conformément à l’article R. 611-7 du code de justice administrative. Evoquant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat juge que le requérant ne pouvait contester son titre de pension en se prévalant incidemment de l’illégalité d’une décision de refus de promotion prise plusieurs années auparavant.

Le Conseil d’État rappelle que, dans l’hypothèse où la notification d’une décision de comporte pas les mentions des voies et délais de recours, la décision contestée ne peut être critiquée, au-delà du délai de deux mois, que dans un délai raisonnable ne pouvant excéder un an (à compter de la date à laquelle une décision expresse a été notifiée à l’intéressé ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance). Si, en l’espèce, le requérant a attaqué son titre de pension dans le délai de recours contentieux de deux mois, il ne pouvait, au soutien de sa demande, se prévaloir de l’illégalité d’une décision antérieure que l’administration n’a pas régulièrement notifiée mais qu’il a lui-même omis d’attaquer dans un délai raisonnable. En l’occurrence, plus de deux ans séparaient la date à laquelle il a eu une connaissance certaine du refus de le promouvoir et la date à laquelle il a introduit un recours contre son titre de pension.
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L'expérimentation d'une médiation préalable obligatoire dans certains contentieux

L'auteur expose la genèse de ce nouveau mode alternatif de résolution des différends en précisant quelles doivent être les conditions de sa réussite.
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L'écriture inclusive reste bannie des textes officiels

L'écriture inclusive est une forme d'écriture qui vise à assurer une égalité de représentation entre les femmes et les hommes en prônant notamment une féminisation des noms de métier. Dans une circulaire en date du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, le Premier ministre a demandé à ce qu'il ne soit pas fait application de l'écriture inclusive dans les textes officiels. L'association Groupement d'information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles a déposé un recours auprès du Conseil d'Etat à l'encontre de ladite circulaire.
 
Par une décision n° 417128 du 28 février 2019, le Conseil d'Etat rejette les recours formés par l'association requérante, confirmant ainsi que l'écriture inclusive ne s'applique pas aux textes officiels.
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Retrouvez en cliquant sur ce lien la table annuelle 2018 de toutes les jurisprudences commentées dans les 11 numéros de VIGIE parus en 2018.

Les tables annuelles sont consultables sur le Portail de la fonction publique.
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