Une circulaire précise les modalités de la généralisation du droit de dérogation accordé aux préfets

Paru dans le N°123 - Juin-juillet-août 2020
Transformation publique

Le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet prévoyait d’accorder, de manière expérimentale et pendant deux ans, la faculté à certains préfets de région ou de département de « déroger aux normes arrêtées par l’administration de l’Etat » dans certaines conditions (VIGIE n°122 – mars-avril-mai 2020).


La circulaire du Premier ministre n° 6201/SG du 6 août 2020 relative à la dévolution au préfet d’un droit de dérogation aux normes réglementaires présente le bilan de l’expérimentation réalisée en 2018 et 2019. L’expérimentation a concerné les préfets de région et de département du Pays de la Loire, de Bourgogne-Franche-Comté et de Mayotte, ainsi que les préfets de département du Lot, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Creuse. Au total, 183 arrêtés préfectoraux de dérogation ont été élaborés au cours de cette expérimentation. Selon la circulaire, ils ont permis « de concilier des normes aux objectifs différents, d’atténuer des effets de seuil, ou encore d’accélérer des procédures administratives ». Face au succès de cette expérimentation, le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet a généralisé le dispositif expérimenté (VIGIE n°122 – mars-avril-mai 2020).


La circulaire rappelle les objectifs de la généralisation du droit de dérogation. Le dispositif autorise le préfet à déroger de façon ponctuelle, pour la prise d’une décision non réglementaire relevant de ses compétences, aux normes réglementaires applicables dans les matières suivantes :
  • subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;
  • aménagement du territoire et politique de la ville ;
  • environnement, agriculture et forêts ;
  • construction, logement et urbanisme ;
  • emploi et activité économique ;
  • protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;
  • activités sportives, socioéducatives et associatives.
L’annexe 1 de la circulaire fournit plusieurs illustrations de procédures ou dispositifs auxquels il est possible de déroger dans ces conditions.

La circulaire précise que la mise en œuvre du droit de dérogation ne doit pas se traduire par l’édiction d’une nouvelle norme générale en lieu et place de la norme à laquelle le préfet décide de déroger : il ne s’agit pas d’une délégation du pouvoir réglementaire permettant d’adapter ou de simplifier localement des normes réglementaires nationales. Le droit de dérogation s’exerce en effet à l’occasion de l’instruction d’une demande individuelle, se traduit par la prise d’une décision au cas par cas et permet de ne pas appliquer une disposition réglementaire à un cas d’espèce, par exemple pour exonérer un particulier, une entreprise ou une collectivité territoriale d’une obligation administrative.

Le Premier ministre demande à ce que les préfets ne délèguent pas les décisions de dérogation à une autre autorité déconcentrée de l’Etat.


La décision de dérogation peut prendre la forme d’un arrêté spécifique, ou il peut en être fait mention au sein de la décision individuelle prise au terme de la procédure réglementaire appliquée. Dans les deux cas, une attention particulière doit être apportée à la motivation de la décision de dérogation. Si la décision individuelle n’a pas vocation à être publiée au recueil des actes administratifs (RAA) de la préfecture, deux décisions doivent être dissociées : la décision de dérogation est publiée au RAA et non la décision individuelle.


Si un usager demande au préfet de faire usage de son droit de dérogation, le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut rejet de la demande conformément à l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration.


La circulaire précise également les conditions cumulatives que les dérogations envisagées doivent satisfaire.

D’abord, la dérogation doit avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques.

Ensuite, la dérogation ne doit pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

La dérogation doit également être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France. La circulaire invite, en cas de doute concernant la compatibilité de la dérogation envisagée avec le droit européen, à solliciter l’expertise de la direction d’administration centrale compétente par l’intermédiaire de la direction de la modernisation et de l’administration territoriale (DMAT).

Par ailleurs, la dérogation doit être justifiée à la fois par un motif d’intérêt général et par l’existence de circonstances locales.


Pour vérifier la légalité de la décision de dérogation, la circulaire conseille d’établir un bilan coût/avantage de la mesure de dérogation, de réaliser une estimation des risques juridiques, notamment contentieux et financiers, et d’évaluer ses conséquences en termes de cohérence de l’action publique locale. L’annexe 2 de la circulaire consiste en une fiche d’étude destinée à guider les préfets dans cette démarche.

La circulaire invite également les préfets à s’interroger, avant l’utilisation du droit de dérogation à une réglementation, sur les procédures et méthodes de travail des services mettant en œuvre cette réglementation afin de vérifier qu’elles ne constituent pas un obstacle à la bonne administration et, le cas échéant, qu’elles ne devraient pas être modifiées prioritairement à tout usage de ce droit.

Les préfets sont également invités, s’ils remarquent un usage régulier du droit de dérogation pour une même réglementation, à saisir l’administration compétente sur la possibilité de faire évoluer cette réglementation.

Les préfets sont par ailleurs invités à solliciter les directions régionales concernées pour demander une expertise en tant que de besoin en amont de l’utilisation du droit de dérogation. Ils peuvent saisir la DMAT pour solliciter un appui juridique sur la conformité d’une dérogation. Ils peuvent également saisir les tribunaux administratifs ou les cours administratives d’appel pour avis sur le fondement de l’article R. 212-1 du code de justice administrative.


La circulaire prévoit également un dispositif de suivi de l’utilisation du droit de dérogation.

Les préfets doivent systématiquement informer le préfet de région de leur intention de prendre un arrêté de dérogation dans le cadre de son rôle de garant de la cohésion de l’action de l’Etat dans la mise en œuvre des politiques publiques au sein de la région.

De même, ils doivent systématiquement adresser leurs projets d’arrêté à la DMAT, accompagné d’une analyse justifiant le recours au droit de dérogation, afin que celle-ci informe les secrétariats généraux des ministères intéressés. Ces derniers pourront alors faire part de leurs observations dans un délai de 15 jours à compter de la réception du projet d’arrêté.

Un bilan de la mise en œuvre du droit de dérogation sera réalisé à l’occasion d’une réunion de suivi à l’échelon central, sous l’égide du ministère de l’Intérieur, une fois par an. Un bilan similaire pourra être réalisé à l’échelle régionale dans le cadre des comités de l’administration régionale (CAR).

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