Language of document : ECLI:EU:C:2020:420

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

4 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Articles 5 et 7 – Repos hebdomadaire – Congé annuel – Congés spéciaux rémunérés permettant de s’absenter du travail pour répondre à des besoins et obligations déterminés »

Dans l’affaire C‑588/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne), par décision du 3 septembre 2018, parvenue à la Cour le 20 septembre 2018, dans la procédure

Federación de Trabajadores Independientes de Comercio (Fetico),

Federación Estatal de Servicios, Movilidad y Consumo de la Unión General de Trabajadores (FESMC-UGT),

Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO)

contre

Grupo de Empresas DIA SA,

Twins Alimentación SA,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras, E. Regan (rapporteur), M. Safjan, S. Rodin et I. Jarukaitis, présidents de chambre, Mme C. Toader, MM. D. Šváby, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 septembre 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour la Federación de Trabajadores Independientes de Comercio (Fetico), par Mes J. I. Quintana Horcajada et D. Cadierno Pájaro, abogados,

–        pour la Federación Estatal de Servicios, Movilidad y Consumo de la Unión General de Trabajadores (FESMC-UGT), par Mes B. García Rodríguez et J. F. Pinilla Porlan, abogados,

–        pour la Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), par Me P. Caballero Marcos, abogada,

–        pour Grupo de Empresas DIA SA et Twins Alimentación SA, par Me A. I. Pérez Hernández, abogada,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. N. Ruiz García et M. van Beek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 décembre 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 5 et 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant des organisations syndicales de travailleurs, à savoir la Federación de Trabajadores Independientes de Comercio (Fetico), la Federación Estatal de Servicios, Movilidad y Consumo de la Unión General de Trabajadores (FESMC-UGT) et la Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), au groupe de sociétés DIA SA et à Twins Alimentación SA, au sujet de conflits collectifs de travail relatifs aux conditions d’application des congés spéciaux rémunérés prévus à l’article 46 du Convenio colectivo del grupo de empresas Dia SA y Twins Alimentación SA (convention collective du groupe de sociétés Dia SA et de Twins Alimentación SA), du 13 juillet 2016 (ci-après la « convention collective du 13 juillet 2016 »), enregistrée et publiée par la Resolución de la Dirección General de Empleo (résolution de la direction générale de l’Emploi), du 22 août 2016 (BOE no 212, du 2 septembre 2016, p. 63357).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2003/88

3        Le considérant 5 de la directive 2003/88 énonce :

« Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. La notion de repos doit être exprimée en unités de temps, c’est-à-dire en jours, heures et/ou fractions de jour ou d’heure. Les travailleurs de [l’Union européenne] doivent bénéficier de périodes minimales de repos – journalier, hebdomadaire et annuel – et de périodes de pause adéquates. Il convient, dans ce contexte, de prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail. »

4        Aux termes de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de cette directive :

« 1.      La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.

2.      La présente directive s’applique :

a)      aux périodes minimales de repos journalier, de repos hebdomadaire et de congé annuel ainsi qu’au temps de pause et à la durée maximale hebdomadaire de travail, et

b)      à certains aspects du travail de nuit, du travail posté et du rythme de travail. »

5        L’article 5 de ladite directive, intitulé « Repos hebdomadaire », dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de sept jours, d’une période minimale de repos sans interruption de vingt-quatre heures auxquelles s’ajoutent les onze heures de repos journalier prévues à l’article 3.

Si des conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail le justifient, une période minimale de repos de vingt-quatre heures pourra être retenue. »

6        L’article 7 de la directive 2003/88, intitulé « Congé annuel », énonce :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.      La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

7        L’article 15 de cette directive, intitulé « Dispositions plus favorables », est libellé comme suit :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. »

 La directive 2010/18

8        L’accord-cadre révisé sur le congé parental, conclu le 18 juin 2009, qui figure à l’annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil, du 8 mars 2010, portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental conclu par BUSINESSEUROPE, l’UEAPME, le CEEP et la CES et abrogeant la directive 96/34/CE (JO 2010, L 68, p. 13, ci-après l’« accord-cadre »), prévoit, à sa clause 1, paragraphe 1 :

« Le présent accord énonce des prescriptions minimales visant à faciliter la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales des parents qui travaillent, compte tenu de la diversité de plus en plus grande des structures familiales, dans le respect de la législation, des conventions collectives et/ou de la pratique nationales. »

9        La clause 7 de cet accord-cadre, intitulée « Absence du travail pour raisons de force majeure », énonce :

« 1.      Les États membres et/ou les partenaires sociaux prennent les mesures nécessaires pour autoriser les travailleurs à s’absenter du travail, conformément à la législation, aux conventions collectives et/ou à la pratique nationales, pour cause de force majeure liée à des raisons familiales en cas de maladie ou d’accident rendant indispensable la présence immédiate du travailleur.

2.      Les États membres et/ou les partenaires sociaux peuvent préciser les conditions d’accès et les modalités d’application de la clause 7, paragraphe 1, et limiter ce droit à une certaine durée par an et/ou par cas. »

10      La clause 8, paragraphe 1, dudit accord-cadre dispose :

« Les États membres peuvent appliquer ou adopter des dispositions plus favorables que celles prévues par le présent accord. »

 Le droit espagnol

 La Constitution

11      L’article 40, paragraphe 2, de la Constitution prévoit :

« [L]es pouvoirs publics promeuvent une politique garantissant la formation et la réadaptation professionnelles ; ils veillent à la sécurité et à l’hygiène dans le travail et garantissent le repos nécessaire, par la limitation de la journée de travail, les congés payés périodiques et la promotion de centres appropriés. »

 Le statut des travailleurs

12      L’article 37 de l’Estatuto de los Trabajadores (statut des travailleurs), dans sa version résultant du Real Decreto legislativo 2/2015, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 2/2015, portant approbation du texte refondu de la loi relative au statut des travailleurs), du 23 octobre 2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100224) (ci-après le « statut des travailleurs »), intitulé « Repos hebdomadaire, jours fériés et congés », dispose :

« 1.      Les travailleurs ont le droit à un repos hebdomadaire minimal, cumulable par périodes maximales de quatorze jours, d’une journée et demie sans interruption qui, en règle générale, comprend l’après-midi du samedi ou, le cas échéant, la matinée du lundi et la journée complète du dimanche. La durée du repos hebdomadaire des mineurs de 18 ans est d’au moins deux jours sans interruption.

[...]

3.      Le travailleur, après avoir prévenu de son absence et en avoir donné les motifs, peut s’absenter du travail tout en conservant son droit à rémunération, pour la durée et les motifs suivants :

a)      Quinze jours calendaires en cas de mariage.

b)      Deux jours pour la naissance d’un enfant et pour le décès, l’accident ou la maladie graves, l’hospitalisation ou l’intervention chirurgicale ambulatoire requérant le repos à domicile d’un membre de la famille présentant un lien de parenté pouvant aller jusqu’au deuxième degré par le sang ou par alliance. Lorsque, pour ce motif, le travailleur doit se déplacer, la durée est de quatre jours.

c)      Un jour pour déménager de sa résidence habituelle.

d)      Le temps indispensable à l’accomplissement d’un devoir impératif à caractère public et personnel, y compris l’exercice du droit de vote actif. Lorsqu’une norme législative ou conventionnelle prévoit une période déterminée, ses dispositions sont respectées s’agissant de la durée de l’absence et de la compensation financière. [...]

e)      Pour remplir des fonctions syndicales ou de représentation du personnel dans les termes établis par la loi ou par convention.

f)      Pour le temps indispensable afin de subir des examens prénataux et de suivre des cours de préparation à l’accouchement ainsi que, en cas d’adoption, de garde ou d’accueil, pour assister aux sessions d’information et de préparation obligatoires et se soumettre aux évaluations psycho-sociales obligatoires préalables à la déclaration d’aptitude à condition, dans tous les cas, que ceux-ci aient lieu pendant le temps de travail. »

13      L’article 38 du statut des travailleurs, intitulé « Congés payés annuels », prévoit :

« 1.       La période de congés payés annuels, qui ne peut être remplacée par une indemnité financière, est celle convenue par convention collective ou par contrat individuel. Sa durée ne peut en aucun cas être inférieure à trente jours calendaires.

2.       La ou les périodes où le congé peut être pris sont fixées d’un commun accord entre l’entreprise et le travailleur, conformément à ce que prévoient, le cas échéant, les conventions collectives sur la planification annuelle des congés.

En cas de désaccord entre les parties, la juridiction sociale fixe la date à laquelle le congé sera pris et sa décision n’est pas susceptible de recours. La procédure est accélérée et prioritaire.

3.       Le calendrier des congés est fixé dans chaque entreprise. Le travailleur doit connaître les dates le concernant au moins deux mois avant le début du congé.

Lorsque la période de congé fixée dans le calendrier des congés de l’entreprise mentionné à l’alinéa précédent coïncide avec une période d’incapacité temporaire due à la grossesse, à l’accouchement ou à l’allaitement, ou avec la période de suspension du contrat de travail prévue à l’article 48, paragraphes 4, 5 et 7, de la présente loi, l’intéressé a le droit de prendre ses congés à une date distincte de celle de l’incapacité temporaire ou de celle du congé qui lui a été accordé en application de cette disposition, après la fin de la période de suspension, même si l’année civile à laquelle le congé correspond est déjà écoulée.

Dans le cas où la période des congés coïncide avec une incapacité temporaire due à des circonstances différentes de celles mentionnées à l’alinéa précédent et qui empêche entièrement ou partiellement le travailleur de prendre ses congés pendant l’année calendaire à laquelle ils correspondent, celui-ci pourra le faire après que son incapacité aura cessé, sous réserve qu’il ne se soit pas écoulé plus de dix-huit mois depuis la fin de l’année où ils sont nés. »

 La convention collective du 13 juillet 2016

14      L’article 46 de la convention collective du 13 juillet 2016 est libellé comme suit :

« I.      Le travailleur, après avoir prévenu de son absence et en avoir donné les motifs, peut s’absenter de son travail tout en conservant son droit à rémunération, pour la durée et les motifs suivants :

A.      Quinze jours calendaires en cas de mariage, à compter de la date de l’événement ou du jour qui le précède immédiatement, au choix du travailleur.

B.      Trois jours pour la naissance d’un enfant ou pour le décès, l’accident, la maladie grave ou l’hospitalisation d’un membre de la famille présentant un lien de parenté pouvant aller jusqu’au deuxième degré par le sang ou par alliance. En cas de décès d’un conjoint ou d’un enfant, cette période est portée à 5 jours. Lorsque, pour ce motif, le travailleur doit se déplacer, ladite période est augmentée d’un jour.

C.      Deux jours lorsqu’un membre de la famille présentant un lien de parenté pouvant aller jusqu’au deuxième degré par le sang ou par alliance subit une intervention chirurgicale ambulatoire requérant un repos à domicile. Lorsque, pour ce motif, le travailleur doit se déplacer, cette période est de quatre jours.

D.      Un jour pour déménager de sa résidence habituelle.

E.      Le temps indispensable à l’accomplissement d’un devoir impératif à caractère public et personnel, y compris l’exercice du droit de vote actif.

F.      Pour exercer des fonctions syndicales ou de représentation du personnel dans les termes établis par la loi ou la présente convention collective.

G.      Pour le temps indispensable à une visite du travailleur dans un cabinet médical pour cause de maladie pendant ses heures de travail, sous réserve pour celui-ci de produire un certificat médical.

H.      Les heures indispensables au travailleur pour se présenter à des examens de fin d’études ou de formation, lorsqu’il fait des études pour obtenir un titre officiel ou académique. Dans ces cas, il doit fournir le justificatif administratif qui étaye sa demande.

I.      Chaque année, le travailleur peut prendre jusqu’à trois jours supplémentaires de congé cumulables un par un à l’un quelconque des congés prévus aux points A), B) et D) ci-dessus, ou jusqu’à deux jours en cas de décès du conjoint, du partenaire civil ou d’un enfant ou, également un par un, à l’exception du congé prévu au paragraphe 1), dans les cas suivants :

1)      Un jour, ou huit heures par an pour accompagner un enfant mineur de 16 ans à une visite médicale en cabinet pendant le temps de travail du travailleur, sous réserve pour ce dernier de produire un certificat médical.

2)      En cas de mariage d’un membre de la famille présentant un lien de parenté pouvant aller jusqu’au deuxième degré par le sang ou par alliance.

3)      En cas de passage du permis de conduire et de la signature d’un acte notarié en vue de l’achat ou de la vente par le travailleur d’un logement, dont le travailleur doit s’acquitter personnellement et pendant son temps de travail.

II.      Aux fins des congés, sauf du congé prévu au point A) du présent article, les couples en partenariat civil ont les mêmes droits, à la condition qu’ils soient dûment inscrits au registre officiel pertinent et que le travailleur apporte une attestation l’établissant, conformément aux exigences énoncées dans les réglementations applicables des communautés autonomes.

III.      Le travailleur devra avertir le plus tôt possible sa hiérarchie immédiate, afin que celle-ci puisse prendre les mesures nécessaires et lui donner le congé pertinent, ainsi que présenter un justificatif relatif au motif allégué pour prendre le congé octroyé ou à octroyer.

IV.      Aux fins du présent article, on entend par travailleur devant se déplacer celui qui doit parcourir plus de 150 km entre son lieu de résidence habituelle et le lieu de destination. »

 Le code civil

15      Le Código Civil (code civil) énonce, d’une part, à son article 4, paragraphe 3, que « [l]es dispositions du présent code s’appliquent à titre supplétif dans les matières régies par d’autres lois » et, d’autre part, à son article 5, paragraphe 2, que « [l]es jours fériés ne sont pas exclus du calcul civil des délais ».

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

16      Les litiges au principal portent sur des conflits collectifs de travail relatifs aux conditions d’application des congés spéciaux rémunérés prévus à l’article 46 de la convention collective du 13 juillet 2016, lequel met en œuvre les prescriptions minimales de l’article 37, paragraphe 3, du statut des travailleurs et consacre des droits allant au-delà de ces prescriptions. Ces litiges ont trait, en particulier, à la question de savoir si ces congés spéciaux rémunérés doivent être calculés à compter d’un jour où le travailleur doit en principe travailler et, à l’exception du congé pour mariage dont la durée est explicitement exprimée en « jours calendaires », être pris par le travailleur lors de tels jours. Les jours où le travailleur ne doit pas travailler pour l’entreprise incluent, notamment, les jours fériés et les jours de congé.

17      L’article 37, paragraphe 1, et l’article 38 du statut des travailleurs prévoient des périodes minimales de repos excédant celles exigées en vertu des articles 5 et 7 de la directive 2003/88. Par ailleurs, l’article 37, paragraphe 3, de ce statut reconnaît aux travailleurs des congés spéciaux rémunérés permettant à ceux-ci de répondre à des besoins ou obligations déterminés tels que, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, le mariage, la naissance d’un enfant, l’hospitalisation, l’opération chirurgicale ou le décès d’un parent proche ainsi que l’accomplissement de fonctions de représentation syndicale. L’article 46 de la convention collective du 13 juillet 2016 met en œuvre cet article 37, paragraphe 3, dans des conditions encore plus favorables en ce qu’il accorde des congés d’une durée plus longue ou dans des circonstances autres que celles visées audit article 37, paragraphe 3.

18      La juridiction de renvoi souligne que, aux termes de l’article 46 de la convention collective du 13 juillet 2016, la durée du congé pour mariage est exprimée en « jours calendaires », alors que celle des autres congés spéciaux rémunérés l’est en « jours », sans qu’il soit précisé s’il s’agit de jours calendaires ou de jours ouvrables. De plus, cette disposition ne préciserait pas à partir de quand le congé débute. La juridiction de renvoi relève, toutefois, que, aux termes de l’article 5, paragraphe 2, du code civil, qui est d’application supplétive dans les matières régies par d’autres lois, « [l]es jours fériés ne sont pas exclus du calcul civil des délais ».

19      Selon la juridiction de renvoi, la question soulevée serait liée aux périodes de repos hebdomadaire et de congé annuel payé garanties par le droit de l’Union. En effet, les organisations syndicales de travailleurs parties aux litiges au principal demanderaient à ce que, lorsque l’un des événements prévus à l’article 46 de la convention collective du 13 juillet 2016 survient au cours d’une de ces périodes, les congés spéciaux rémunérés dont cet évènement est le fait générateur puissent être pris en dehors desdites périodes.

20      En particulier, afin de trancher les litiges au principal, il serait déterminant de savoir s’il est conforme aux articles 5 et 7 de la directive 2003/88 de prévoir que les besoins et obligations auxquels les événements visés par l’article 46 donnent lieu ne peuvent justifier les congés spéciaux prévus par cette disposition qu’en dehors des périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé, alors même que ces besoins et obligations renvoient à des finalités différentes de celles auxquelles ces périodes sont dédiées.

21      À cet égard, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que la circonstance qu’un travailleur est en congé de maladie ne saurait affecter le droit de ce travailleur de bénéficier effectivement de son congé annuel payé, compte tenu des finalités divergentes des deux types de congés.

22      Or, en l’occurrence, si l’un des événements visés par la réglementation nationale survient pendant les périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé, des impératifs différents coïncideraient, à savoir le repos que visent en particulier à garantir ces périodes aux travailleurs et un besoin ou une obligation visé par l’un des congés spéciaux rémunérés prévus par cette réglementation. Si, dans ce cas, il n’était pas possible de reporter le bénéfice du congé spécial rémunéré à un autre moment que celui desdites périodes, le bénéfice de ces dernières serait réduit à néant, puisque les travailleurs devraient consacrer les mêmes périodes à répondre aux besoins et obligations pour lesquels ces congés spéciaux rémunérés sont prévus.

23      Par conséquent, la juridiction de renvoi doute qu’un refus d’octroyer au travailleur le droit de prendre les congés prévus à l’article 37, paragraphe 3, du statut des travailleurs et à l’article 46 de la convention collective du 13 juillet 2016, lorsque l’un des événements que ces dispositions visent survient au cours des périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé, soit conforme aux articles 5 et 7 de la directive 2003/88.

24      Dans ces conditions, l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 5 de la directive [2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui autorise la coïncidence entre la période de repos hebdomadaire et la prise de congés [spéciaux] rémunérés répondant à des finalités autres que le repos ?

2)      L’article 7 de la directive 2003/88 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui autorise la coïncidence entre les congés annuels et la prise de congés rémunérés [spéciaux] répondant à des finalités autres que le repos, la détente et les loisirs ? »

 Sur les questions préjudicielles

25      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 5 et 7 de la directive 2003/88 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet pas aux travailleurs de faire valoir les congés spéciaux que prévoit cette réglementation lors de jours où ces travailleurs doivent travailler, dans la mesure où les besoins et obligations auxquels répondent ces congés spéciaux surviennent lors de périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé visées à ces articles.

26      Il convient de rappeler que cette directive a pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant, notamment, la durée du temps de travail (arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, point 36 et jurisprudence citée).

27      Cette harmonisation au niveau de l’Union en matière d’aménagement du temps de travail vise à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en faisant bénéficier ceux-ci, conformément au considérant 5 de ladite directive, de périodes minimales de repos – notamment journalier et hebdomadaire – ainsi que de périodes de pause adéquates, et en prévoyant une limite maximale à la durée hebdomadaire de travail (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, point 37 et jurisprudence citée).

28      En particulier, les articles 5 et 7 de la directive 2003/88 ont pour objet le droit au repos hebdomadaire et le droit à un congé annuel payé.

29      Cela étant, il convient de rappeler qu’il ressort de manière explicite de l’article 1er, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), de l’article 5, de l’article 7, paragraphe 1, ainsi que de l’article 15 de cette directive que cette dernière se borne à fixer des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail et ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer des dispositions nationales plus favorables à la protection des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

30      Il y a également lieu de faire observer que, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, sous b), TFUE, l’Union et les États membres disposent, dans le domaine de la politique sociale, pour les aspects définis dans le traité FUE, d’une compétence partagée, au sens de l’article 2, paragraphe 2, TFUE.

31      Les jours de congés spéciaux octroyés au titre de l’article 46 de la convention collective du 13 juillet 2016 afin de permettre aux travailleurs de répondre à des besoins ou obligations déterminés ne relèvent pas du champ d’application de la directive 2003/88 mais bien de l’exercice, par un État membre, de ses compétences propres (voir, par analogie, arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

32      Il convient toutefois de préciser que l’exercice de telles compétences propres ne saurait, pour autant, avoir pour effet de porter atteinte à la protection minimale garantie aux travailleurs par cette directive et, en particulier, au bénéfice effectif des périodes minimales de repos hebdomadaire et de congé annuel payé prévues aux articles 5 et 7 de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

33      Dans ce contexte, la Cour a, notamment, considéré que la finalité du droit au congé annuel payé, qui est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs, diffère de celle du droit au congé de maladie, qui est de permettre au travailleur de se rétablir d’une maladie (voir, en ce sens, arrêts du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18, point 25, du 21 juin 2012, ANGED, C‑78/11, EU:C:2012:372, point 19, ainsi que du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C‑178/15, EU:C:2016:502, point 25).

34      Au regard de ces finalités divergentes des deux types de congés, la Cour a conclu qu’un travailleur qui est en congé de maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a le droit, à sa demande et afin qu’il puisse bénéficier effectivement de son congé annuel, de prendre celui-ci à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé de maladie (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2009, Vicente Pereda, C‑277/08, EU:C:2009:542, point 22; du 21 juin 2012, ANGED, C‑78/11, EU:C:2012:372, point 20, et du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C‑178/15, EU:C:2016:502, point 26).

35      Toutefois, s’agissant des congés spéciaux en cause dans les litiges au principal, en premier lieu, il importe de relever qu’il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que la réglementation qui les institue reconnaît aux travailleurs, lorsque les événements qu’elle vise se produisent, le droit de s’absenter du travail, en prévoyant un maintien de la rémunération. Dès lors, le bénéfice de ces congés spéciaux rémunérés dépend de deux conditions cumulatives, à savoir la survenance d’un des événements visés par cette réglementation, d’une part, et le fait que les besoins ou obligations justifiant l’octroi d’un congé spécial surviennent lors d’une période de travail, d’autre part.

36      Dans la mesure où ils visent uniquement à permettre aux travailleurs de s’absenter du travail afin de répondre à certains besoins ou obligations déterminés nécessitant leur présence personnelle, les congés spéciaux rémunérés prévus par les dispositions en cause au principal sont indissociablement liés au temps de travail en tant que tel, si bien que les travailleurs ne sont pas susceptibles de s’en prévaloir lors des périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé. Partant, ces congés spéciaux ne sont pas assimilables au congé de maladie.

37      En second lieu, les requérantes au principal font valoir que, lorsque les évènements justifiant l’octroi d’un des congés spéciaux rémunérés surviennent au cours d’une période de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé, dont les travailleurs bénéficient en vertu des articles 5 et 7 de la directive 2003/88, ces travailleurs devraient pouvoir bénéficier de ces congés spéciaux rémunérés à l’occasion d’une période de travail subséquente.

38      À cet égard, il ne saurait toutefois être soutenu que, au motif que les périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé relèvent des articles 5 et 7 de cette directive, ces dispositions imposent à un État membre, dont la réglementation nationale prévoit le bénéfice de congés spéciaux rémunérés, d’octroyer de tels congés spéciaux du seul fait de la survenance d’un des événements visés par cette réglementation lors d’une de ces périodes et en écartant, dès lors, les autres conditions d’obtention et d’octroi prévues par ladite réglementation. En effet, consacrer une telle obligation reviendrait à méconnaître que, ainsi qu’il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, ces congés spéciaux, ainsi que le régime qui leur est applicable, se situent en dehors du régime établi par ladite directive.

39      Au demeurant, bien que cela ne ressorte ni des indications fournies par la juridiction de renvoi ni des observations formulées par les parties intéressées, il apparaît, sous réserve de contrôle par la juridiction de renvoi, que les congés spéciaux visés à l’article 46, paragraphe I, sous B) et C), de la convention collective du 13 juillet 2016 relèvent, pour partie, du champ d’application de l’accord-cadre et, partant, de la directive 2010/18, dès lors que certains de ces congés sont susceptibles de correspondre à ceux que les États membres doivent prévoir au bénéfice des travailleurs, conformément à la clause 7, paragraphe 1, de cet accord-cadre.

40      À cet égard, il découle certes d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un congé garanti par le droit de l’Union ne peut pas affecter le droit de prendre un autre congé garanti par ce droit et poursuivant une finalité distincte du premier (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C‑12/17, EU:C:2018:799, point 37 et jurisprudence citée).

41      Toutefois, la clause 7, paragraphe 1, de l’accord-cadre, interprétée à l’aune de la clause 1, paragraphe 1, et de la clause 8, paragraphe 1, de cet accord-cadre, se borne à prévoir que les travailleurs sont autorisés à s’absenter du travail pour cause de force majeure liée à des raisons familiales en cas de maladie ou d’accident rendant indispensable la présence immédiate du travailleur. Il s’ensuit que les droits minimaux prévus à cette clause 7 ne sauraient être assimilés à un congé, au sens de la jurisprudence rappelée au point 40 du présent arrêt.

42      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les articles 5 et 7 de la directive 2003/88 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent pas à une réglementation nationale qui ne permet pas aux travailleurs de faire valoir les congés spéciaux que prévoit cette réglementation lors de jours où ces travailleurs doivent travailler, dans la mesure où les besoins et obligations auxquels répondent ces congés spéciaux surviennent lors de périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé visées à ces articles.

 Sur les dépens

43      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

Les articles 5 et 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent pas à une réglementation nationale qui ne permet pas aux travailleurs de faire valoir les congés spéciaux que prévoit cette réglementation lors de jours où ces travailleurs doivent travailler, dans la mesure où les besoins et obligations auxquels répondent ces congés spéciaux surviennent lors de périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé visées à ces articles.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.