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Ariane Web: Conseil d'État 419062, lecture du 19 décembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:419062.20191219

Décision n° 419062
19 décembre 2019
Conseil d'État

N° 419062
ECLI:FR:CECHR:2019:419062.20191219
Publié au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du jeudi 19 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe, en premier lieu, d'annuler l'arrêté n° 13021425 du 30 avril 2013 par lequel le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a mis fin à son détachement au sein du Grand Port maritime de la Guadeloupe et l'a nommé en qualité de " chargé de mission temporaire transport maritime ", l'arrêté n° 13060824 du 31 janvier 2014 prononçant sa mutation à Mayotte, tous les autres arrêtés qui découlent de l'arrêté du 30 avril 2013, ainsi que les avis de la commission administrative paritaire des 26 avril 2013, 4 décembre 2013 et 23 mai 2014, en deuxième lieu, d'enjoindre au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, d'une part, de le rétablir dans son emploi précédant l'arrêté du 30 avril 2013 et de renouveler son détachement dans le respect des conditions posées par l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, sans baisse de grade et d'échelon, en tenant compte de la bonification d'échelon due à son passage à Mayotte et, d'autre part, de lui communiquer le rapport d'enquête du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), dans les deux cas sous astreinte de 250 euros par jour de retard, et en troisième et dernier lieu de condamner l'Etat à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1300860 du 24 mars 2016, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 16BX01573 du 18 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 mars et 13 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des transports ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à compter du 1er septembre 2010, M. A... B..., officier de port titulaire du grade de capitaine de port de 1ère classe, a été détaché pour une durée de cinq ans auprès du port autonome de la Guadeloupe, devenu le Grand port maritime de la Guadeloupe (GPMG), afin d'y exercer les fonctions de commandant de port. Par un arrêté du 30 avril 2013 faisant suite à des tensions avec le directeur général du port, qui ont conduit M. B... à déposer une plainte pénale pour faits de harcèlement moral, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a mis fin au détachement de l'intéressé et l'a affecté, jusqu'au 31 août 2013, sur un poste de chargé de mission temporaire à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guadeloupe, dans l'attente d'une affectation pérenne. Par un arrêté du 17 septembre 2013, cette mission a été prolongée. Par un arrêté du 31 janvier 2014, M. B... a été nommé commandant du port de Mayotte. Par un jugement du 24 mars 2016, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses demandes tendant, en premier lieu, à l'annulation des arrêtés précités ainsi que des procès-verbaux des réunions de la commission administrative paritaire ayant émis un avis sur sa situation administrative, en deuxième lieu, à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à son administration d'origine, d'une part, de le rétablir dans son emploi précédent et de renouveler son détachement dans le respect des conditions posées par l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 22 juin 2015 en tenant compte de la bonification d'échelon due à son passage à Mayotte et, d'autre part, de lui communiquer le rapport d'enquête du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur les tensions au sein du GMPG et, en troisième lieu, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 décembre 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.

2. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / (...) ". Si la circonstance qu'un agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ne saurait légalement justifier que lui soit imposée une mesure relative à son affectation, à sa mutation ou à son détachement, elles ne font pas obstacle à ce que l'administration prenne, à l'égard de cet agent, dans son intérêt ou dans l'intérêt du service, une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compétence, prise notamment à l'égard des auteurs des agissements en cause, n'est de nature à atteindre le même but.

3. Lorsqu'une telle mesure est contestée devant lui par un agent public au motif qu'elle méconnaît les dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, il incombe d'abord au juge administratif d'apprécier si l'agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral. S'il estime que tel est le cas, il lui appartient, dans un second temps, d'apprécier si l'administration justifie n'avoir pu prendre, pour préserver l'intérêt du service ou celui de l'agent, aucune autre mesure, notamment à l'égard des auteurs du harcèlement moral.

4. Après avoir relevé que l'arrêté du 30 avril 2013 avait eu pour objet de mettre un terme au conflit opposant M. B... au directeur général du GPMG, tant dans l'intérêt du service, dont le bon fonctionnement avait été notoirement perturbé, que de l'intéressé lui-même, placé en arrêt de travail pour raisons de santé, la cour a jugé, par adoption des motifs retenus en première instance, que la circonstance que M. B... ait fait l'objet d'un harcèlement moral, ainsi que l'avait estimé la cour d'appel de Basse-Terre par un arrêt du 22 juin 2015, était sans incidence sur la légalité de la mesure mettant fin au détachement de l'intéressé, dès lors qu'il n'était pas soutenu ni même allégué qu'il aurait été victime de harcèlement de la part de son administration d'origine. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en ne recherchant pas, en l'absence d'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire statuant en matière civile, si M. B... avait été victime d'agissements de harcèlement moral de la part du directeur général du GPMG et, dans l'affirmative, si son administration d'origine justifiait ne pouvoir prendre d'autre mesure que la mesure litigieuse pour préserver l'intérêt du service et celui de l'agent, la cour a commis une erreur de droit.

5. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de la transition écologique et solidaire.


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