Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 27/02/2019, 410644

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 232-34 du code de l'éducation, qu'il soit sursis à l'exécution de la décision du 4 juillet 2016 par laquelle la section disciplinaire de l'institut d'études politiques (IEP) d'Aix-en-Provence a prononcé à son encontre une mesure d'exclusion définitive. Par une décision n° 1257 du 13 décembre 2016, le CNESER a rejeté sa requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 17 mai, 3 août, 20 septembre, 28 septembre et 16 novembre 2017 et le 13 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge de l'IEP d'Aix-en-Provence la somme de 3 000 euros à verser à MeC..., son avocat, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Roux, maître des requêtes en service extraordinaire ;

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCPC..., Jéhannin, avocat de M. B...et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'IEP d'Aix-en-Provence ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 232-33 du code de l'éducation : " Les décisions rendues immédiatement exécutoires nonobstant appel par les sections disciplinaires (...) peuvent faire l'objet d'une demande de sursis à exécution devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire ". Aux termes de l'article R. 232-34 du même code : " (...) Le sursis peut être prononcé si les moyens présentés dans la requête paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation ou la réformation de la décision attaquée ". M.B..., étudiant à l'Institut d'études politiques (IEP) d'Aix-en-Provence, se pourvoit en cassation contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en formation disciplinaire, du 13 décembre 2016 rejetant sa demande de sursis à exécution de la sanction d'exclusion définitive prise à son encontre par la section disciplinaire de l'IEP d'Aix-en-Provence le 4 juillet 2016 à raison de faits de violences volontaires avec usage ou menace d'une arme, commis le 15 décembre 2014 à l'encontre d'un étudiant de la même promotion.

Sur la composition de la formation restreinte du CNESER :

2. Aux termes de l'article R. 232-34 du code de l'éducation : " La demande de sursis à exécution est, à peine d'irrecevabilité, présentée par requête distincte jointe à l'appel. / Elle est immédiatement transmise par la section disciplinaire au secrétariat du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire. / Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire peut se prononcer sur cette demande en formation restreinte comprenant, outre le président, deux conseillers titulaires désignés par ce dernier (...) ". En outre, il résulte des dispositions de l'article R. 232-39 du même code que " les différentes formations de jugement ne peuvent valablement délibérer que si la moitié au moins des membres appelés à siéger sont présents ". Par suite, le moyen tiré de ce que la formation restreinte du CNESER ne pouvait régulièrement statuer sur la requête de M. B...en présence de seulement deux des trois membres qui la composent, alors même que, ce faisant, la formation restreinte siègerait en nombre pair, ne peut qu'être écarté.

Sur la régularité de la décision de première instance de la section disciplinaire de l'IEP d'Aix-en-Provence :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 712-10 du code de l'éducation : " relèvent du régime disciplinaire prévu aux articles R. 712-9 à R. 712-46 : (...) / 2° Tout usager de l'université lorsqu'il est auteur ou complice notamment : (...) / b° D'un fait de nature à porter atteinte à l'ordre ou au bon fonctionnement de l'université (...) ". Il ressort des pièces du dossier soumis au CNESER que les faits de violences volontaires avec usage ou menace d'une arme qu'il est reproché à M. B...d'avoir commis à l'encontre d'un autre étudiant de la même promotion de l'IEP d'Aix-en-Provence, bien que commis en dehors de l'enceinte de l'établissement, ont eu un retentissement tant sur le climat régnant entre les étudiants de l'IEP que sur la santé et la scolarité de la victime et qu'ils étaient, ainsi, de nature à porter atteinte à l'ordre et au bon fonctionnement de l'établissement. Par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que la section disciplinaire de l'IEP d'Aix-en-Provence n'était pas compétente pour connaître de poursuites disciplinaires engagées contre un étudiant à raison de tels faits.

4. En deuxième lieu, il ressort des termes de la décision d'exclusion prononcée, en première instance, à l'encontre de M. B...par la section disciplinaire de l'IEP d'Aix-en-Provence, que celle-ci ne fonde cette sanction que sur l'agression du 15 décembre 2014 dont elle était saisie, les faits d'appels téléphoniques malveillants n'étant évoqués, dans les motifs de cette même décision, que comme un élément relatif au contexte et à la personnalité de l'intéressé. Par suite, la formation restreinte du CNESER n'a pas, eu égard à l'office que lui attribue l'article R. 232-34 du code de l'éducation, commis d'erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de l'incompétence de la section disciplinaire de l'IEP pour connaître des faits d'appels téléphoniques malveillants n'était pas sérieux.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 712-33 du code de l'éducation, après le dépôt du rapport d'instruction, " dans le cas où la juridiction est saisie de nouveaux éléments, le président ordonne la réouverture de l'instruction qui se déroule selon les formes prescrites au premier alinéa du présent article ". Eu égard à son office, la formation restreinte du CNESER n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, les éléments produits par M. B... après la remise du rapport de la commission d'instruction ne revêtant pas un caractère substantiel, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de première instance, au motif que le président s'était s'abstenu de rouvrir l'instruction, n'était pas sérieux.

6. Enfin, la circonstance que M. B...n'aurait pas été étudiant à l'IEP d'Aix-en-Provence à la date de la sanction prononcée en première instance est sans incidence sur la légalité de cette sanction. Le moyen tiré de ce que le CNESER aurait commis une erreur de droit en ne le relevant pas d'office est, par suite, inopérant.


Sur la violation du principe " non bis in idem " par la juridiction de première instance :

7. Il découle du principe général du droit selon lequel une personne ne peut être sanctionnée deux fois à raison des mêmes faits que, notamment, lorsqu'une juridiction a pris une première décision définitive à l'égard d'une personne faisant devant elle l'objet de poursuites à raison de certains faits, la même juridiction devant laquelle seraient engagées de nouvelles poursuites contre cette personne à raison des mêmes faits ne peut lui infliger une sanction, cette règle s'appliquant que la juridiction ait, lors de la première procédure, infligé une sanction ou qu'elle ait décidé ne pas devoir entrer en voie de condamnation contre la personne poursuivie.

8. D'une part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les premières poursuites disciplinaires exercées à l'encontre de M. B..., engagées par le directeur de l'IEP d'Aix-en-Provence le 20 février 2015, n'ont donné lieu à aucune décision de la section disciplinaire de l'IEP d'Aix-en-Provence, qu'il s'agisse d'une décision d'infliger une sanction comme d'une décision ne pas en infliger. Seules les secondes poursuites disciplinaires exercées à son encontre, également engagées, le 23 mars 2016, par le directeur de l'IEP, ont débouché sur la sanction en litige. Dès lors, en jugeant que le moyen tiré de la violation du principe " non bis in idem " n'était pas sérieux au motif que la première procédure devant la section disciplinaire de l'IEP " n'avait pas donné lieu à sanction ", la formation restreinte du CNESER, qui s'est, en réalité, fondée sur la circonstance que la première procédure n'avait conduit à aucune décision quelle qu'elle soit, n'a pas, eu égard à l'office que lui attribue l'article R. 232-34 du code de l'éducation, commis d'erreur de droit.

9. D'autre part, M. B...ne saurait utilement faire valoir, au surplus pour la première fois en cassation, que la sanction disciplinaire qui lui a été infligée en première instance a été prise en méconnaissance de ce même principe " non bis in idem " en ce qu'elle aurait été prononcée pour les mêmes faits que la mesure d'interdiction d'accès aux locaux de l'établissement, prise à son encontre par le directeur de l'IEP d'Aix-en-Provence le 17 décembre 2014, dès lors que cette dernière mesure, prise sur le fondement des dispositions de l'article R. 712-1 du code de l'éducation en vue de prévenir des risques de désordre au sein de l'établissement, revêt le caractère d'une mesure de police.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée. Dès lors, ses conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent également qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par l'IEP d'Aix-en-Provence.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. B...au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'IEP d'Aix-en-Provence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence.

ECLI:FR:CECHR:2019:410644.20190227
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