Language of document : ECLI:EU:C:2018:872

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 novembre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Article 7 – Droit au congé annuel payé – Réglementation nationale prévoyant la perte des congés annuels non pris et de l’indemnité financière au titre desdits congés, lorsqu’une demande de congé n’a pas été formulée par le travailleur avant la cessation de la relation de travail »

Dans l’affaire C‑619/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandenburg, Allemagne), par décision du 14 septembre 2016, parvenue à la Cour le 29 novembre 2016, dans la procédure

Sebastian W. Kreuziger

contre

Land Berlin,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. J.‑C. Bonichot, Mme A. Prechal (rapporteure), MM. M. Vilaras, T. von Danwitz, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J. Malenovský, E. Levits, L. Bay Larsen et S. Rodin juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 janvier 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour M. Kreuziger, par lui-même,

–        pour le Land Berlin, par M. B. Pickel et Mme S. Schwerdtfeger, en qualité d’agents, assistés de Mme L. von Laffert, Rechtsanwältin,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Di Matteo, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement hongrois, par Mme E. Sebestyén et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et T. S. Bohr, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Sebastian W. Kreuziger à son ancien employeur, le Land Berlin (Land de Berlin, Allemagne), au sujet du refus de celui-ci de verser à M. Kreuziger une indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris avant la fin de leur relation de travail.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes des considérants 4 et 5 de la directive 2003/88 :

« (4)      L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique.

(5)      Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. La notion de repos doit être exprimée en unités de temps, c’est-à-dire en jours, heures et/ou fractions de jour ou d’heure. Les travailleurs de [l’Union] doivent bénéficier de périodes minimales de repos – journalier, hebdomadaire et annuel – et de périodes de pause adéquates. [...] »

4        L’article 7 de cette directive, intitulé « Congé annuel », est libellé comme suit :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.      La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

5        L’article 17 de ladite directive prévoit que les États membres peuvent déroger à certaines de ses dispositions. Toutefois, aucune dérogation n’est admise en ce qui concerne l’article 7 de celle-ci.

 Le droit allemand

6        Aux termes de l’article 9 de la Verordnung über den Erholungsurlaub der Beamten und Richter (règlement relatif au congé de détente des fonctionnaires et des juges), du 26 avril 1988 (GVBl. 1988, p. 846, ci-après l’« EUrlVO ») :

« 1.      Le fonctionnaire prend, dans la mesure du possible en une seule fois, le congé de détente auquel il a droit. À la demande de l’intéressé, le congé est accordé par tranches. En général, il convient cependant d’éviter un fractionnement de plus de deux périodes. En cas de fractionnement du congé, celui-ci est accordé au fonctionnaire pour au moins deux semaines consécutives.

2.      Le congé doit normalement être pris au cours de l’année de référence. Le droit au congé qui n’a pas été pris dans un délai de douze mois après la fin de la période de référence s’éteint. [...] »

7        L’EUrlVO ne comporte pas de disposition prévoyant l’octroi d’une indemnisation financière au titre des congés annuels payés non pris lors de la fin de la relation de travail.

8        L’article 7, paragraphe 4, du Bundesurlaubsgesetz (loi fédérale relative aux congés), du 8 janvier 1963 (BGBl. 1963, p. 2), dans sa version du 7 mai 2002 (BGBl. 2002 I, p. 1529) (ci-après le « BUrlG »), prévoit :

« Si, en raison de la cessation de la relation de travail, le congé ne peut plus être octroyé en tout ou en partie, il y a lieu de l’indemniser. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Du 13 mai 2008 au 28 mai 2010, M. Kreuziger a effectué, en tant que Rechtsreferendar (stagiaire en droit), son stage de préparation aux professions juridiques auprès du Land de Berlin, dans le cadre d’une formation relevant du droit public mais hors statut de fonctionnaire. Sa réussite, le 28 mai 2010, de l’épreuve orale du deuxième examen d’État a marqué la fin de ce stage et de cette formation auprès de ce Land.

10      M. Kreuziger s’est abstenu de prendre des congés annuels payés entre le 1er janvier 2010 et la date de la fin de sa formation. Le 18 décembre 2010, il a demandé à ce que lui soit accordée une indemnité financière au titre de ces congés annuels payés non pris. Cette demande a, d’abord, été rejetée par décision de la présidente du Kammergericht (tribunal régional supérieur, Allemagne) du 7 janvier 2011, puis, sur réclamation, par décision du 4 mai 2011 du Gemeinsames Juristisches Prüfungsamt der Länder Berlin und Brandenburg (office d’examen juridique commun des Länder de Berlin et de Brandebourg, Allemagne), aux motifs que l’EUrlVO ne prévoit pas un tel droit à indemnité et que, pour sa part, la directive 2003/88 ne s’applique qu’aux travailleurs, tandis que l’indemnité financière prévue à l’article 7, paragraphe 2, de celle-ci présupposerait, en tout état de cause, que l’intéressé n’ait pas pu prendre son congé pour des raisons qui ne lui sont pas imputables.

11      M. Kreuziger a saisi le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin, Allemagne) d’un recours dirigé contre ces décisions, recours qui a été rejeté par jugement du 3 mai 2013. Dans ce jugement, ladite juridiction a relevé, elle aussi, que l’EUrlVO ne prévoit pas de droit à l’obtention d’une indemnité financière au titre des congés annuels payés non pris lors de la cessation de la relation de travail. Elle considère, par ailleurs, que, bien que doté d’un effet direct, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ne fonde pas davantage un tel droit dans le chef de M. Kreuziger, dès lors que ce droit présupposerait que l’intéressé n’ait pas été en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d’exercer son droit au congé annuel avant la fin de la relation de travail.

12      Par ailleurs, ayant relevé que l’article 9 de l’EUrlVO fait obligation au travailleur de prendre ses congés annuels payés et considéré que ladite disposition implique, dès lors, dans le chef de l’intéressé, une obligation d’en faire la demande, le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) a jugé qu’une telle réglementation nationale, ayant trait aux modalités d’exercice du droit au congé annuel, est conforme à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88. Or, M. Kreuziger s’étant volontairement abstenu d’introduire une telle demande, tout en sachant que sa relation de travail s’achèverait le 28 mai 2010, son droit au congé annuel payé se serait éteint à cette dernière date.

13      M. Kreuziger a saisi la juridiction de renvoi, l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandenburg, Allemagne), d’un recours dirigé contre ce jugement. Cette juridiction relève, à son tour, que l’EUrlVO ne comporte aucune règle qui permettrait de fonder le droit à l’obtention d’une indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris dans le chef de M. Kreuziger, de telle sorte que, en l’absence de transposition de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 en droit national, un tel droit éventuel ne saurait en l’occurrence découler que de l’effet direct de ladite disposition.

14      À cet égard, la juridiction de renvoi considère, d’abord, que, en tant que stagiaire en droit, M. Kreuziger relève bien du champ d’application personnel de la directive 2003/88.

15      Ensuite, M. Kreuziger satisferait aux deux conditions expresses énoncées à l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive, à savoir que, lorsqu’il a réclamé une indemnité financière, sa relation de travail avait pris fin et il n’avait pas pris, à la date de la cessation de cette relation, tous les congés annuels auxquels il avait droit.

16      Enfin, la juridiction de renvoi indique, toutefois, nourrir des doutes sur les points de savoir si, au-delà de ces deux conditions expresses, et ainsi que l’a jugé le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin), le droit à l’obtention d’une indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris peut être exclu lorsque le travailleur n’a pas demandé, avant la fin de la relation de travail, à bénéficier de son congé, bien qu’il en ait eu la possibilité, et si un tel droit présuppose, plus généralement, que le travailleur n’ait pas été en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d’exercer son droit au congé annuel payé avant la fin de la relation de travail.

17      C’est dans ces conditions que l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandenburg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 7, paragraphe 2, de la directive [2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles le droit à une indemnité financière à la fin d’une relation de travail est exclu lorsque le travailleur n’a pas demandé à bénéficier du congé annuel payé alors qu’il pouvait le faire ?

2)      L’article 7, paragraphe 2, de la directive [2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles le droit à une indemnité financière à la fin d’une relation de travail présuppose que le travailleur n’était pas en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, d’exercer son droit au congé annuel payé avant la fin de la relation de travail ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Considérations liminaires

18      À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que la réglementation nationale applicable au litige au principal ne comporte pas de disposition prévoyant le versement aux stagiaires en droit d’une indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail. La disposition du BUrlG prévoyant une telle indemnité ne leur serait pas applicable.

19      Eu égard à cette circonstance, la juridiction de renvoi précise, d’ailleurs, que la demande du requérant au principal visant à l’octroi d’une telle indemnité ne saurait être accueillie que pour autant que l’intéressé peut prétendre à une telle indemnité directement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88.

20      À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, EU:C:2012:33, point 33 et jurisprudence citée). En outre, lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d’une directive à l’encontre d’un État, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique. Dans l’un et l’autre cas, il importe, en effet, d’éviter que l’État ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l’Union (arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, EU:C:2012:33, point 38 et jurisprudence citée).

21      Sur la base de ces considérations, la Cour a admis que des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive puissent être invoquées par les justiciables, notamment, à l’encontre d’un État membre et de l’ensemble des organes de son administration, y compris des autorités décentralisées (voir, en ce sens, arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, point 45 et jurisprudence citée).

22      En ce qui concerne l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette disposition ne pose aucune condition à l’ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d’une part, que la relation de travail a pris fin, et, d’autre part, que le travailleur n’a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin. Ce droit est conféré directement par ladite directive et ne saurait dépendre de conditions autres que celles qui y sont explicitement prévues (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2014, Bollacke, C‑118/13, EU:C:2014:1755, points 23 et 28, ainsi que du 20 juillet 2016, Maschek, C‑341/15, EU:C:2016:576, point 27). Ladite disposition satisfait dès lors aux critères d’inconditionnalité et de précision suffisante et remplit ainsi les conditions requises pour produire un effet direct.

23      Il s’ensuit, en l’occurrence, que la circonstance que le droit national applicable ne prévoit pas le versement d’une indemnité financière au titre des congés annuels payés non pris lors de la cessation de la relation de travail des stagiaires en droit ne saurait, à elle seule, faire obstacle à ce que M. Kreuziger obtienne, sur le fondement direct de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, une telle indemnité à charge de son ex-employeur, le Land de Berlin, ce dernier revêtant la qualité d’autorité publique. Pour autant qu’il soit établi que M. Kreuziger satisfait aux exigences posées par cette dernière disposition, les juridictions nationales seront ainsi tenues de laisser inappliquées les réglementations ou pratiques nationales qui s’opposeraient à l’obtention d’une telle indemnité.

 Sur la première question

24      S’agissant de la première question, il convient de faire observer d’emblée que, bien que la juridiction de renvoi n’identifie pas, dans ladite question, la législation nationale en l’occurrence visée, il peut être déduit des indications que contient la décision de renvoi qu’il s’agit de l’article 9 de l’EUrlVO.

25      En effet, bien que la juridiction de renvoi ne prenne pas position sur la portée de l’article 9 de l’EUrlVO dans le contexte du litige au principal, elle indique, ainsi qu’il ressort du point 12 du présent arrêt, que, dans le jugement dont il est fait appel devant elle, le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) a, pour sa part, considéré que cette disposition nationale impose au travailleur une obligation de demander à prendre son congé annuel payé. Selon cette dernière juridiction, à défaut d’avoir satisfait à cette obligation, qu’elle tient pour conforme à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, le droit au congé annuel payé de M. Kreuziger se serait éteint à la date de la cessation de la relation de travail.

26      Par ailleurs, la juridiction de renvoi précise, ainsi qu’il ressort du point 16 du présent arrêt, saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle parce qu’elle éprouve des doutes quant à la compatibilité de l’interprétation ainsi retenue par le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) avec la directive 2003/88.

27      Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la première question comme visant à savoir si l’article 7 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que l’article 9 de l’EUrlVO, dans la mesure où celle-ci implique que, à défaut pour le travailleur d’avoir demandé à pouvoir exercer son droit au congé annuel payé avant la cessation de la relation de travail, l’intéressé perd automatiquement les jours de congé annuel payé auxquels il avait droit en vertu du droit de l’Union lors de cette cessation, ainsi que, corrélativement, son droit à une indemnité financière au titre de ces congés annuels payés non pris.

28      À cet égard, il convient de rappeler, d’emblée, que, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 2003/88 (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke, C‑118/13, EU:C:2014:1755, point 15 et jurisprudence citée).

29      Par ailleurs, le droit au congé annuel payé ne revêt pas seulement, en cette qualité de principe du droit social de l’Union, une importance particulière, mais il est aussi expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (arrêt du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C‑178/15, EU:C:2016:502, point 20 et jurisprudence citée).

30      L’affaire au principal ayant trait à un refus de versement d’une indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris à la date de la cessation de la relation de travail ayant existé entre les parties au principal, il importe de rappeler que, lorsque la relation de travail a pris fin, la prise effective du congé annuel payé auquel le travailleur a droit n’est plus possible. Afin de prévenir que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière pour les jours de congé annuel non pris (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke, C‑118/13, EU:C:2014:1755, point 17 et jurisprudence citée).

31      Ainsi qu’il a été rappelé au point 22 du présent arrêt, la Cour a souligné que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ne pose aucune condition à l’ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d’une part, que la relation de travail a pris fin et, d’autre part, que le travailleur n’a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin.

32      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ladite disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales qui prévoient que, lors de la fin de la relation de travail, aucune indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris n’est versée au travailleur qui n’a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels auxquels il avait droit avant la fin de cette relation de travail, notamment parce qu’il était en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et/ou d’une période de report (arrêts du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18, point 62 ; du 20 juillet 2016, Maschek, C‑341/15, EU:C:2016:576, point 31, ainsi que du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 65).

33      La Cour a, de même, jugé que l’article 7 de la directive 2003/88 ne saurait être interprété en ce sens que le droit au congé annuel payé et, partant, celui à l’indemnité financière prévue au paragraphe 2 de cet article puissent s’éteindre en raison du décès du travailleur. À cet égard, la Cour a notamment souligné que, si l’obligation de paiement d’une telle indemnité devait s’éteindre en raison de la cessation de la relation de travail du fait du décès du travailleur, cette circonstance aurait pour conséquence qu’une occurrence fortuite entraînerait rétroactivement la perte totale du droit au congé annuel payé lui-même, tel que consacré audit article 7 (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke, C‑118/13, EU:C:2014:1755, points 25, 26 et 30).

34      S’agissant de l’affaire au principal, il importe de relever que, selon les indications contenues dans la décision de renvoi et ainsi qu’il a été exposé aux points 25 à 27 du présent arrêt, le refus de l’ancien employeur de M. Kreuziger de lui verser une indemnité financière au titre des congés annuels payés non pris avant la fin de la relation de travail est fondé, notamment, sur une réglementation nationale, en l’occurrence l’article 9 de l’EUrlVO, en vertu de laquelle le droit auxdits congés s’est éteint non pas en conséquence de la cessation de ladite relation de travail en tant que telle, mais du fait que M. Kreuziger n’a pas demandé à prendre ceux-ci durant le cours de ladite relation.

35      La question posée est donc en substance celle de savoir si, eu égard à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 31 du présent arrêt, à la date à laquelle la relation de travail en cause au principal a pris fin, M. Kreuziger avait ou non encore droit à des congés annuels payés susceptibles de se transformer en indemnité financière du fait de la cessation de cette relation.

36      Ladite question porte, ainsi, au premier chef, sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 et vise à savoir si cette disposition s’oppose à ce que le droit qu’elle garantit puisse, en cas de congés annuels non pris, s’éteindre automatiquement au motif que le travailleur n’a pas demandé à exercer ce droit durant le cours de la relation de travail.

37      À cet égard, premièrement, il ne saurait être déduit de la jurisprudence de la Cour mentionnée aux points 30 à 33 du présent arrêt que l’article 7 de la directive 2003/88 devrait être interprété en ce sens que, quelles que soient les circonstances à l’origine de l’absence de prise de congés annuels payés par un travailleur, le droit au congé annuel visé au paragraphe 1 dudit article, et, en cas de cessation de la relation de travail, le droit à l’indemnité susceptible de s’y substituer, conformément au paragraphe 2 de ce même article, devraient toujours continuer de bénéficier audit travailleur.

38      Deuxièmement, s’il est, certes, de jurisprudence constante que, dans le souci de garantir le respect du droit fondamental du travailleur au congé annuel payé consacré par le droit de l’Union, l’article 7 de la directive 2003/88 ne saurait faire l’objet d’une interprétation restrictive au détriment des droits que le travailleur tire de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke, C‑118/13, EU:C:2014:1755, point 22 et jurisprudence citée), il importe toutefois également de rappeler que le paiement du congé prescrit au paragraphe 1 de cet article vise à permettre au travailleur de prendre effectivement le congé auquel il a droit (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2006, Robinson-Steele e.a., C‑131/04 et C‑257/04, EU:C:2006:177, point 49).

39      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel, consacré à l’article 7 de la directive 2003/88, vise en effet à permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d’une part, et de disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part (arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C‑341/15, EU:C:2016:576, point 34 et jurisprudence citée).

40      Du reste, en prévoyant que la période minimale de congé annuel payé ne puisse pas être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de la relation de travail, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 vise notamment à assurer que le travailleur puisse bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2006, Robinson-Steele e.a., C‑131/04 et C‑257/04, EU:C:2006:177, point 60 et jurisprudence citée).

41      Troisièmement, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 7 de la directive 2003/88 et de la jurisprudence de la Cour, il appartient aux États membres de définir, dans leur réglementation interne, les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, en précisant les circonstances concrètes dans lesquelles les travailleurs peuvent faire usage dudit droit (arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18, point 28 et jurisprudence citée).

42      À cet égard, la Cour a notamment précisé que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui prévoit des modalités d’exercice du droit au congé annuel payé expressément accordé par cette directive, comprenant même la perte dudit droit à la fin d’une période de référence ou d’une période de report, à condition toutefois que le travailleur dont le droit au congé annuel payé est perdu ait effectivement eu la possibilité d’exercer le droit que ladite directive lui confère (arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18, point 43).

43      Or, une réglementation nationale telle que l’article 9 de l’EUrlVO relève du domaine des modalités d’exercice du congé annuel payé, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 et de la jurisprudence de la Cour visée au point précédent.

44      Une réglementation de ce type fait partie des règles et procédures de droit national applicables pour la fixation des congés des travailleurs, visant à tenir compte des différents intérêts en présence (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Vicente Pereda, C‑277/08, EU:C:2009:542, point 22).

45      Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, il importe de s’assurer que l’application de telles règles nationales ne puisse pas entraîner l’extinction des droits aux congés annuels payés acquis par le travailleur, alors même que celui-ci n’aurait pas effectivement eu la possibilité d’exercer ces droits.

46      En l’occurrence, il y a lieu de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que l’article 9 de l’EUrlVO semble être interprété par le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) en ce sens que la circonstance qu’un travailleur n’a pas demandé à bénéficier de ses congés annuels payés avant la cessation de la relation de travail a pour conséquence automatique que, lors de cette cessation, ce travailleur perd ses droits auxdits congés et, corrélativement, son droit à une indemnité financière au titre de ces congés non pris.

47      Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 34 de ses conclusions, une telle perte automatique du droit au congé annuel payé, qui n’est pas subordonnée à la vérification préalable que le travailleur a été effectivement mis en mesure d’exercer ce droit, méconnaît les limites, rappelées au point 42 du présent arrêt, s’imposant impérativement aux États membres lorsqu’ils précisent les modalités d’exercice dudit droit.

48      En effet, le travailleur doit être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, de telle sorte qu’il est nécessaire d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits. Compte tenu de cette situation de faiblesse, un tel travailleur peut être dissuadé de faire valoir explicitement ses droits à l’égard de son employeur dès lors, notamment, que la revendication de ceux-ci est susceptible de l’exposer à des mesures prises par ce dernier de nature à affecter la relation de travail au détriment de ce travailleur (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2010, Fuß, C‑429/09, EU:C:2010:717, points 80 et 81 ainsi que jurisprudence citée).

49      En outre, les incitations à renoncer au congé de repos ou à faire en sorte que les travailleurs y renoncent sont incompatibles avec les objectifs du droit au congé annuel payé, tels que rappelés aux points 39 et 40 du présent arrêt et tenant notamment à la nécessité de garantir au travailleur le bénéfice d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé (voir, en ce sens, arrêt du 6 avril 2006, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑124/05, EU:C:2006:244, point 32). Ainsi, toute pratique ou omission d’un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est également incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 39 et jurisprudence citée).

50      Dans ces conditions, il importe d’éviter une situation dans laquelle la charge de veiller à l’exercice effectif du droit au congé annuel payé se trouverait entièrement déplacée sur le travailleur, tandis que l’employeur se verrait, de ce fait, offrir une possibilité de s’exonérer du respect de ses propres obligations, en prétextant qu’une demande de congés annuels payés n’a pas été introduite par le travailleur.

51      S’il convient de préciser, à cet égard, que le respect de l’obligation découlant, pour l’employeur, de l’article 7 de la directive 2003/88 ne saurait aller jusqu’à contraindre celui-ci à imposer à ses travailleurs d’exercer effectivement leur droit à congé annuel payé (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑484/04, EU:C:2006:526, point 43), il n’en demeure pas moins que ledit employeur doit, en revanche, veiller à mettre le travailleur en mesure d’exercer un tel droit (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 63).

52      À cet effet, et ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé aux points 43 à 45 de ses conclusions, l’employeur est notamment tenu, eu égard au caractère impératif du droit au congé annuel payé et afin d’assurer l’effet utile de l’article 7 de la directive 2003/88, de veiller concrètement et en toute transparence à ce que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre ses congés annuels payés, en l’incitant, au besoin formellement, à le faire, tout en l’informant, de manière précise et en temps utile pour garantir que lesdits congés soient encore propres à garantir à l’intéressé le repos et la détente auxquels ils sont censés contribuer, de ce que, s’il ne prend pas ceux-ci, ils seront perdus à la fin de la période de référence ou d’une période de report autorisée, ou, encore, à la fin de la relation de travail lorsque cette dernière intervient au cours d’une telle période.

53      En outre, la charge de la preuve à cet égard incombe à l’employeur (voir, par analogie, arrêt du 16 mars 2006, Robinson-Steele e.a., C‑131/04 et C‑257/04, EU:C:2006:177, point 68). À défaut pour celui-ci d’être en mesure d’établir qu’il a fait preuve de toute la diligence requise pour que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre les congés annuels payés auxquels il avait droit, il y a lieu de considérer qu’une extinction du droit auxdits congés, et, en cas de cessation de la relation de travail, l’absence corrélative de versement d’une indemnité financière au titre des congés annuels non pris, méconnaîtraient, respectivement, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88.

54      En revanche, si ledit employeur est à même de rapporter la preuve lui incombant à cet égard, de telle sorte qu’il apparaîtrait que c’est délibérément et en toute connaissance de cause quant aux conséquences appelées à en découler, que le travailleur s’est abstenu de prendre ses congés annuels payés après avoir été mis en mesure d’exercer effectivement son droit à ceux-ci, l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/88 ne s’oppose pas à la perte de ce droit ni, en cas de cessation de la relation de travail, à l’absence corrélative d’indemnité financière au titre des congés annuels payés non pris.

55      En effet, comme l’a indiqué M. l’avocat général aux points 52 et 53 de ses conclusions, toute interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88 qui serait de nature à inciter le travailleur à s’abstenir délibérément de prendre ses congés annuels payés durant les périodes de référence ou de report autorisé applicables, afin d’augmenter sa rémunération lors de la cessation de la relation de travail, serait, ainsi qu’il ressort du point 49 du présent arrêt, incompatible avec les objectifs poursuivis par l’instauration du droit au congé annuel payé.

56      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 7 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, dans la mesure où celle-ci implique que, à défaut pour le travailleur d’avoir demandé à pouvoir exercer son droit au congé annuel payé avant la date de la cessation de la relation de travail, l’intéressé perd, automatiquement et sans vérification préalable du point de savoir si celui-ci a été effectivement mis en mesure par l’employeur, notamment par une information adéquate de la part de ce dernier, d’exercer son droit au congé avant ladite cessation, les jours de congé annuel payé auxquels il avait droit en vertu du droit de l’Union lors de cette cessation, ainsi que, corrélativement, son droit à une indemnité financière au titre de ces congés annuels payés non pris.

 Sur la seconde question

57      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 Sur les dépens

58      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, dans la mesure où celle-ci implique que, à défaut pour le travailleur d’avoir demandé à pouvoir exercer son droit au congé annuel payé avant la date de la cessation de la relation de travail, l’intéressé perd, automatiquement et sans vérification préalable du point de savoir si celui-ci a été effectivement mis en mesure par l’employeur, notamment par une information adéquate de la part de ce dernier, d’exercer son droit au congé avant ladite cessation, les jours de congé annuel payé auxquels il avait droit en vertu du droit de l’Union lors de cette cessation, ainsi que, corrélativement, son droit à une indemnité financière au titre de ces congés annuels payés non pris.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.