Language of document : ECLI:EU:C:2018:758

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

20 septembre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Secteur public – Enseignants du secondaire – Engagement dans la fonction publique statutaire de travailleurs employés à durée déterminée par la voie d’une procédure de recrutement sur titres – Détermination de l’ancienneté – Prise en compte partielle des périodes de service accomplies dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée »

Dans l’affaire C‑466/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Trento (tribunal de Trente, Italie), par décision du 18 juillet 2017, parvenue à la Cour le 3 août 2017, dans la procédure

Chiara Motter

contre

Provincia autonoma di Trento,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, MM. S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Mme Motter, par Mes W. Miceli, F. Ganci, V. De Michele, E. De Nisco, S. Galleano et G. Rinaldi, avvocati,

–        pour la Provincia autonoma di Trento, par Mes N. Pedrazzoli, L. Bobbio, A. Pizzoferrato, M. Dalla Serra et M. Velardo, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mmes L. Fiandaca, C. Colelli et G. D’Avanzo, avvocati dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et G. Gattinara, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Chiara Motter à la Provincia autonoma di Trento (Province autonome de Trente, Italie) au sujet du calcul de son ancienneté au moment de la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée avec cette dernière.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes de la clause 1 de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet, d’une part, d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination et, d’autre part, d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

4        La clause 2 de l’accord–cadre prévoit :

« 1.      Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre.

2.      Les États membres, après consultation de partenaires sociaux, et/ou les partenaires sociaux peuvent prévoir que le présent accord ne s’applique pas :

a)      aux relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage ;

b)      aux contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics. »

5        La clause 3 de l’accord–cadre est ainsi libellée :

« Aux termes du présent accord, on entend par :

1.      “travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;

2.      “travailleur à durée indéterminée comparable”, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. Lorsqu’il n’existe aucun travailleur à durée indéterminée comparable dans le même établissement, la comparaison s’effectue par référence à la convention collective applicable ou, en l’absence de convention collective applicable, conformément à la législation, aux conventions collectives ou aux pratiques nationales. »

6        La clause 4 de l’accord–cadre dispose :

« 1.      Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.

2.      Lorsque c’est approprié, le principe du “pro rata temporis” s’applique.

3      Les modalités d’application de la présente clause sont définies par les États membres, après consultation des partenaires sociaux, et/ou par les partenaires sociaux, compte tenu de la législation Communautaire et la législation, des conventions collectives et pratiques nationales.

4.      Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiés par des raisons objectives. »

 Le droit italien

7        L’article 485, paragraphe 1, du decreto legislativo no 297, « testo unico delle disposizioni legislative vigenti in materia di istruzione, relative alle scuole di ogni ordine e grado » (décret législatif no 297, « texte unique des dispositions législatives applicables en matière d’enseignement et relatives aux écoles de tout type et de tout niveau »), du 16 avril 1994 (supplément ordinaire à la GURI no 115, du 19 mai 1994), prévoit :

« Concernant le personnel enseignant des écoles d’enseignement secondaire et artistique, le service accompli auprès de ces écoles d’État et assimilées, y compris celles situées à l’étranger, en qualité d’enseignant non statutaire, est reconnu comme un service accompli en qualité de statutaire, à des fins juridiques et économiques, dans leur intégralité pour les quatre premières années et pour les deux tiers de la période supplémentaire éventuelle, ainsi qu’à des fins économiques en ce qui concerne le tiers restant. Les droits économiques découlant de cette reconnaissance sont conservés et évalués dans tous les échelons de rémunération postérieurs à celui attribué à la date de cette reconnaissance. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8        Au cours de l’année 2003, Mme Motter a été recrutée par la Province autonome de Trente en vertu d’un contrat à durée déterminée, en qualité d’enseignante des écoles secondaires, et ce, pour l’année scolaire 2003/2004. Elle a ultérieurement poursuivi cette activité sans interruption, au moyen de sept autres contrats successifs, chacun d’une durée déterminée correspondant à celle de l’année scolaire.

9        Depuis le 1er septembre 2011, Mme Motter bénéficie d’un contrat de travail à durée indéterminée. Elle a été titularisée le 1er septembre 2012.

10      Le 8 septembre 2014, la Province autonome de Trente a procédé à la reconstitution de la carrière de l’intéressée aux fins de son classement en grade en application d’une réglementation applicable à compter du 1er janvier 2012. Conformément à l’article 485, paragraphe 1, du décret législatif no 297, du 16 avril 1994, Mme Motter s’est vu reconnaître à cet effet une ancienneté de 80 mois sur les 96 mois effectivement accomplis. Les quatre premières années ont été intégralement prises en compte, les quatre suivantes dans une proportion limitée aux deux tiers, soit 32 mois sur 48. Elle a été classée au premier grade.

11      Le 2 décembre 2016, Mme Motter a saisi le Tribunale di Trento (tribunal de Trente, Italie) d’un recours visant à ce que la Province autonome de Trente prenne en compte l’intégralité de son ancienneté acquise antérieurement à la conclusion du contrat à durée indéterminée dans l’exercice des mêmes fonctions, au titre des huit contrats à durée déterminée successivement conclus pour les années scolaires 2003/2004 à 2010/2011.

12      À l’appui de son recours, elle invoque la violation de la clause 4 de l’accord-cadre et demande que l’article 485 du décret législatif no 297, du 16 avril 1994, ne soit pas appliqué, dans la mesure où celui-ci prévoit que la prise en compte des services accomplis au titre d’un contrat de travail à durée déterminée est intégrale dans la limite de quatre années et, au-delà, limitée à concurrence des deux tiers.

13      La juridiction de renvoi estime que, aux fins de l’application du principe de non-discrimination prévu à la clause 4 de l’accord-cadre, il convient de vérifier que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente. Afin d’effectuer une telle vérification, la situation de Mme Motter pourrait être comparée à celle d’un enseignant exerçant un travail similaire qui, après avoir été recruté par concours pour une durée indéterminée, a la même ancienneté que Mme Motter.

14      À cet égard, Mme Motter a établi, sans être contestée sur ce point par la partie adverse, qu’elle accomplissait des tâches identiques à celles des enseignants recrutés par la voie de concours sur la base de contrats à durée indéterminée. Toutefois, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’existence d’une différence entre ces deux situations. Puisque les enseignants fonctionnaires sont lauréats d’un concours, il pourrait être soutenu que leurs prestations sont d’une qualité supérieure à celle des enseignants à durée déterminée. Si tel devait être le cas, il n’y aurait pas lieu de suivre le motif exposé au point 45 de l’arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a. (C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646), par lequel la Cour a refusé de considérer que des salariés occupés à des tâches identiques puissent être considérés comme étant dans des situations différentes selon qu’ils ont réussi un concours d’accès à la fonction publique.

15      La juridiction de renvoi fait observer que les avis des juridictions italiennes sont partagés sur ce point. La Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) a ainsi jugé que, pour les enseignants, la clause 4 de l’accord-cadre exige de prendre en compte l’ancienneté acquise au titre de contrats à durée déterminée antérieurs, afin d’assurer leur égalité de traitement par rapport aux enseignants bénéficiant de contrats à durée indéterminée. En revanche, plusieurs juridictions inférieures auraient adopté la solution contraire.

16      Compte tenu de ces éléments, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le fait de ne pas être lauréat d’un concours d’accès à la fonction publique peut justifier une différence de traitement au détriment des salariés à durée déterminée.

17      La juridiction de renvoi indique, par ailleurs, que, dans son arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a. (C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, points 23, 55 et 62), la Cour a jugé que la prise en compte intégrale de l’ancienneté acquise au titre de contrats à durée déterminée au bénéfice des travailleurs intégrés dans le cadre permanent de la fonction publique pourrait donner lieu à une discrimination à rebours au détriment des lauréats de concours engagés pour une durée indéterminée.

18      Ces éléments conduisent la juridiction de renvoi à se demander si le droit italien, en prévoyant à l’article 485 du décret législatif no 297, du 16 avril 1994, une formule dégressive de prise en compte de l’ancienneté acquise au titre de contrats à durée déterminée dans le but d’éviter une discrimination à rebours à l’égard des lauréats de concours de la fonction publique, est compatible avec la clause 4 de l’accord-cadre.

19      Dans ces conditions, le Tribunale di Trento (tribunal de Trente) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Aux fins de l’application du principe de non-discrimination prévu à la clause 4 de l’accord-cadre, le fait d’instituer un examen objectif initial des compétences professionnelles par le biais de la réussite d’un concours public constitue-t-il un élément relevant des conditions de formation dont le juge national doit tenir compte aux fins d’établir si la situation d’un travailleur à durée indéterminée est comparable à celle d’un travailleur à durée déterminée et de vérifier s’il existe une raison objective propre à justifier une différence de traitement entre un travailleur à durée indéterminée et un travailleur à durée déterminée ?

2)      Le principe de non-discrimination prévu à la clause 4 de l’accord-cadre s’oppose-t-il à une réglementation interne telle que celle prévue à l’article 485, paragraphe 1, du décret législatif no 297, du 16 avril 1994, qui dispose que, aux fins de déterminer l’ancienneté de service au moment de l’intégration dans le cadre permanent par un contrat à durée indéterminée, la prise en compte des services accomplis pour une durée déterminée est intégrale dans une limite de quatre ans alors que, pour les années suivantes, elle est réduite d’un tiers à des fins juridiques et des deux tiers à des fins économiques, au motif que l’exécution du travail à durée déterminée n’est pas soumise à un examen initial et objectif des compétences professionnelles par le biais de la réussite d’un concours public ?

3)      Le principe de non-discrimination prévu à la clause 4 de l’accord-cadre s’oppose-t-il à une réglementation interne telle que celle prévue à l’article 485, paragraphe 1, du décret législatif no 297, du 16 avril 1994, qui dispose que, aux fins de déterminer l’ancienneté de service au moment de l’intégration dans le cadre permanent par un contrat à durée indéterminée, la prise en compte des services accomplis pour une durée déterminée est intégrale dans une limite de quatre ans, alors que, pour les années supplémentaires, elle est réduite d’un tiers à des fins juridiques et des deux tiers à des fins économiques, dans le but d’éviter l’émergence de discriminations à rebours à l’encontre des fonctionnaires statutaires engagés à l’issue de la réussite d’un concours public ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

20      Le gouvernement italien soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable en raison de son imprécision. La juridiction de renvoi n’ayant pas défini les faits de manière adéquate et suffisamment précise, il ne serait pas possible d’apprécier la comparabilité de la situation de la requérante au principal avec celle de fonctionnaires placés dans une position comparable et de répondre aux questions préjudicielles.

21      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 19 et jurisprudence citée).

22      Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 26 juillet 2017, Persidera, C‑112/16, EU:C:2017:597, point 24 et jurisprudence citée).

23      Or, dans la présente affaire, la demande de décision préjudicielle contient une description des éléments de droit et de fait à l’origine du litige au principal suffisante pour permettre à la Cour de répondre de façon utile aux questions posées. Ces questions, qui portent sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre, s’inscrivent dans le cadre d’un litige concernant les conditions dans lesquelles sont prises en compte les périodes d’ancienneté accomplies par des travailleurs à durée déterminée en vue de leur classement en grade au moment de leur recrutement en tant que fonctionnaires. Elles présentent, de ce fait, un rapport direct avec l’objet du litige au principal et ne sont pas hypothétiques. Tant Mme Motter que la Province autonome de Trente ainsi que le gouvernement italien et la Commission européenne ont, du reste, été en mesure de présenter leurs observations sur les questions posées par la juridiction de renvoi.

24      Il découle de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

25      Par ses questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui, aux fins du classement d’un travailleur dans une catégorie de rémunération lors de son recrutement sur titres en tant que fonctionnaire statutaire, prend en compte les périodes de service accomplies au titre de contrats de travail à durée déterminée de manière intégrale jusqu’à la quatrième année et, au-delà, de manière partielle, à concurrence des deux tiers.

26      Afin de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre interdit de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives. Le point 4 de cette clause énonce la même interdiction en ce qui concerne les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi (arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 39). En outre, la Cour a déjà jugé que les règles relatives aux périodes de service à accomplir afin de pouvoir être classé dans une catégorie de rémunération relèvent de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre (arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, points 46 et 47).

27      Il ressort des informations fournies à la Cour dans le cadre de la présente procédure que, à la différence des enseignants à durée indéterminée recrutés par la voie de concours, les enseignants à durée déterminée qui intègrent la fonction publique statutaire par la voie d’un recrutement sur titres ne peuvent, aux fins de leur classement dans une catégorie de rémunération, voir prise en compte leur ancienneté de manière intégrale que pour leurs quatre premières années de service, cette prise en compte étant ensuite limitée aux deux tiers pour les années suivantes. L’application de la réglementation nationale en cause a ainsi conduit l’administration à ne retenir que 80 mois sur les 96 effectivement accomplis au titre de contrats à durée déterminée par la requérante au principal, soit environ 83 % de l’ancienneté qu’elle avait acquise en service.

28      Or, ainsi qu’il résulte du libellé même de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre des travailleurs à durée déterminée et des travailleurs à durée indéterminée comparables. Dès lors, pour apprécier si cette différence de traitement constitue une discrimination prohibée par cette clause, il convient, dans un premier temps, d’examiner la comparabilité des situations en cause, puis, dans un second temps, d’examiner l’existence d’une éventuelle justification objective.

 Sur la comparabilité des situations en cause

29      Pour apprécier si les personnes intéressées exercent un travail identique ou similaire, au sens de l’accord-cadre, il convient, conformément à la clause 3, point 2, et à la clause 4, point 1, de ce dernier, de rechercher si, compte tenu d’un ensemble de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de travail, ces personnes peuvent être considérées comme se trouvant dans une situation comparable (arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 51 et jurisprudence citée).

30      La nature des fonctions exercées par la requérante au principal pendant les années au cours desquelles elle a travaillé comme enseignante dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée et la qualité de l’expérience qu’elle a acquise à ce titre font partie des critères permettant de vérifier si elle se trouve dans une situation comparable à celle d’un fonctionnaire recruté par la voie d’un concours et ayant acquis la même ancienneté (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 44).

31      En l’occurrence, il résulte des indications fournies par la juridiction de renvoi que les fonctions exercées par la requérante au principal pendant les années au cours desquelles elle a travaillé dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée étaient identiques à celles qui lui ont été dévolues en tant que fonctionnaire statutaire.

32      Il apparaît cependant que la requérante au principal n’est pas lauréate d’un concours général d’accès à la fonction publique. La juridiction de renvoi se demande si une telle circonstance objective implique des compétences professionnelles inférieures, susceptibles de se traduire, notamment durant les premières périodes d’enseignement, par une moins bonne qualité des prestations fournies par rapport à celles des fonctionnaires statutaires recrutés par la voie d’un concours.

33      Il convient toutefois de considérer que le fait de ne pas avoir été lauréat d’un concours administratif ne saurait impliquer que la requérante au principal, au moment de son engagement à durée indéterminée, ne se trouvait pas dans une situation comparable à celle de fonctionnaires statutaires, dès lors que les conditions fixées par la procédure nationale de recrutement sur titres visent précisément à permettre l’intégration dans le cadre permanent de la fonction publique de travailleurs à durée déterminée disposant d’une expérience professionnelle permettant de considérer que leur situation peut être assimilée à celle des fonctionnaires statutaires (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 45).

34      Par ailleurs, l’hypothèse selon laquelle la qualité des prestations des enseignants nouvellement engagés à durée déterminée serait inférieure à celle des lauréats de concours n’apparaît pas conciliable avec le choix du législateur national de reconnaître intégralement l’ancienneté acquise au titre des quatre premières années d’exercice professionnel des enseignants à durée déterminée. En outre, une telle hypothèse, si elle était vérifiée, impliquerait de la part des autorités nationales l’organisation de concours suffisamment fréquents pour pourvoir aux besoins de recrutement. Or, tel ne semble pas être le cas puisqu’il ressort des observations présentées à la Cour par la requérante au principal que les concours de recrutement ne sont organisés que de manière sporadique, les derniers ayant eu lieu au cours des années 1999, 2012 et 2016. Une telle situation, dont la vérification incombe à la juridiction de renvoi, semble difficilement compatible avec la thèse défendue par le gouvernement italien selon laquelle les prestations des enseignants à durée déterminée sont inférieures à celles des enseignants à durée indéterminée recrutés par concours.

35      Il ressort de ces éléments que les situations en cause sont comparables, sous réserve des vérifications de nature factuelle qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer. Il convient, dès lors, de déterminer s’il existe une raison objective justifiant l’absence de prise en compte intégrale des périodes de service d’une durée supérieure à quatre années accomplies dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée lors du classement des fonctionnaires de l’enseignement secondaire recrutés sur titres dans leur catégorie de rémunération.

 Sur l’existence d’une justification objective

36      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « raisons objectives », au sens de la clause 4, points 1 et/ou 4, de l’accord-cadre, doit être comprise comme ne permettant pas de justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée par le fait que cette différence est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle qu’une loi ou une convention collective (arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 56 et jurisprudence citée).

37      Ladite notion requiert que l’inégalité de traitement constatée soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet. Lesdits éléments peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre (arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 57 et jurisprudence citée).

38      Le recours à la seule nature temporaire du travail du personnel de l’administration publique n’est pas conforme à ces exigences et n’est donc pas susceptible de constituer une « raison objective », au sens de la clause 4, points 1 et/ou 4, de l’accord-cadre. En effet, admettre que la seule nature temporaire d’une relation d’emploi suffit pour justifier une différence de traitement entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée viderait de leur substance les objectifs de la directive 1999/70 ainsi que de l’accord-cadre et reviendrait à pérenniser le maintien d’une situation défavorable aux travailleurs à durée déterminée (arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 52).

39      C’est ainsi que la Cour a déjà jugé que la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui exclut totalement la prise en compte des périodes de service accomplies par un travailleur à durée déterminée d’une autorité publique pour la détermination de l’ancienneté de ce dernier lors de son recrutement à durée indéterminée par cette même autorité en tant que fonctionnaire statutaire dans le cadre d’une procédure spécifique de stabilisation de sa relation de travail, à moins que cette exclusion ne soit justifiée par des « raisons objectives », au sens des points 1 et/ou 4 de cette clause. Le seul fait que le travailleur à durée déterminée a accompli lesdites périodes de service sur le fondement d’un contrat ou d’une relation de travail à durée déterminée ne constitue pas une telle raison objective (arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 71).

40      En l’occurrence, pour justifier la différence de traitement alléguée dans l’affaire au principal, le gouvernement italien fait valoir que la mesure en cause au principal, contrairement à celle dont il était question dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a. (C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646), reconnaît intégralement la carrière effectuée par des travailleurs à durée déterminée lors de leur recrutement en tant que fonctionnaires statutaires.

41      Certes, la réglementation nationale en cause au principal reconnaît l’intégralité de cette carrière. Toutefois, elle ne le fait pas de manière uniforme puisque l’ancienneté acquise au-delà des quatre premières années n’est prise en compte que dans la limite des deux tiers.

42      À cet égard, le gouvernement italien explique une telle réduction par la nécessité de refléter le fait que l’expérience des enseignants à durée déterminée ne peut pas être entièrement comparée à celle de leurs collègues fonctionnaires statutaires recrutés sur concours. Contrairement à ces derniers, les enseignants à durée déterminée seraient fréquemment appelés à assurer des missions de remplacement temporaires et à enseigner une variété de matières. En outre, ces derniers seraient soumis à un régime de décompte du temps effectué qui diffère de celui applicable aux fonctionnaires statutaires. Compte tenu de ces différences, tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, et afin d’éviter toute discrimination à rebours au détriment des fonctionnaires recrutés par la voie de concours, le gouvernement italien estime justifié d’appliquer un coefficient de réduction lors de la prise en compte de l’ancienneté acquise dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée.

43      Il y a lieu de rappeler que, compte tenu de la marge d’appréciation dont jouissent les États membres s’agissant de l’organisation de leurs propres administrations publiques, ceux-ci peuvent, en principe, sans contredire la directive 1999/70 ni l’accord-cadre, prévoir les conditions d’accès à la qualité de fonctionnaires statutaires ainsi que les conditions d’emploi de tels fonctionnaires, notamment lorsque ceux-ci étaient auparavant employés par ces administrations dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée (arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 57).

44      Toutefois, nonobstant cette marge d’appréciation, l’application des critères que les États membres établissent doit être effectuée de manière transparente et pouvoir être contrôlée afin d’empêcher tout traitement défavorable des travailleurs à durée déterminée sur le seul fondement de la durée des contrats ou des relations de travail justifiant leur ancienneté et leur expérience professionnelle (arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 59).

45      Lorsqu’un tel traitement différencié résulte de la nécessité de tenir compte d’exigences objectives relatives à l’emploi que la procédure de recrutement a pour objet de pourvoir et qui sont étrangères à la durée déterminée de la relation de travail liant le travailleur à son employeur, il est susceptible d’être justifié au sens de la clause 4, points 1 et/ou 4, de l’accord-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, point 79).

46      À cet égard, la Cour a déjà admis que certaines différences de traitement entre les fonctionnaires statutaires recrutés à l’issue d’un concours général et ceux recrutés après avoir acquis une expérience professionnelle sur la base de contrats de travail à durée déterminée peuvent, en principe, être justifiées par les différences de qualifications requises et la nature des tâches dont ils doivent assumer la responsabilité (arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 60).

47      Les objectifs allégués par le gouvernement italien consistant, d’une part, à refléter les différences d’exercice professionnel entre les deux catégories de travailleurs en cause et, d’autre part, à éviter l’émergence de discriminations à rebours à l’encontre des fonctionnaires statutaires engagés à l’issue de la réussite d’un concours général, peuvent donc être considérés comme constituant une « raison objective », au sens de la clause 4, points 1 et/ou 4, de l’accord-cadre, pour autant qu’ils répondent à un besoin véritable, sont aptes à atteindre l’objectif poursuivi et sont nécessaires à cet effet (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 62).

48      Sous réserve des vérifications qui relèvent de la seule compétence de la juridiction de renvoi, il y a lieu d’admettre que les objectifs invoqués par le gouvernement italien en l’occurrence peuvent légitimement être considérés comme visant à répondre à un besoin véritable.

49      Il ressort, en effet, des observations de ce gouvernement que la réglementation nationale en cause au principal vise, pour partie, à refléter les différences entre l’expérience acquise par les enseignants recrutés sur concours et ceux recrutés sur titres, en raison de la diversité des matières, des conditions et des horaires dans lesquels ces derniers doivent intervenir, notamment dans le cadre de missions de remplacement d’autres enseignants. Le gouvernement italien affirme que, en raison de l’hétérogénéité de ces situations, les prestations fournies par les enseignants à durée déterminée pendant une durée atteignant 180 jours par an, soit environ les deux tiers d’une année scolaire, sont assimilées par la réglementation nationale à un service d’une année scolaire complète. Sous réserve de vérification de ces éléments par la juridiction de renvoi, un tel objectif apparaît conforme au principe « pro rata temporis » auquel se réfère expressément la clause 4, point 2, de l’accord-cadre.

50      En outre, il convient de constater que l’absence de vérification initiale des compétences au moyen d’un concours et le risque de dévalorisation de cette qualification professionnelle n’exige pas nécessairement d’exclure une partie de l’ancienneté acquise au titre de contrats de travail à durée déterminée. Néanmoins, des justifications de cette nature peuvent, dans certaines circonstances, être considérées comme répondant à un objectif légitime. Il est, à cet égard, pertinent de relever qu’il ressort des observations du gouvernement italien que l’ordre juridique national accorde une importance particulière aux concours administratifs. La constitution italienne, afin d’assurer l’impartialité et l’efficacité de l’administration, prévoit en effet, à son article 97, que l’accès aux emplois dans les administrations publiques a lieu par concours, sauf dans les cas prévus par la loi.

51      Compte tenu de ces éléments, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui limite à proportion des deux tiers la prise en compte de l’ancienneté de plus de quatre ans acquise au titre de contrats de travail à durée déterminée, ne saurait être considérée comme excédant ce qui est nécessaire pour répondre aux objectifs précédemment examinés et parvenir à un équilibre entre les intérêts légitimes des travailleurs à durée déterminée et ceux des travailleurs à durée indéterminée, dans le respect des valeurs méritocratiques et des considérations d’impartialité et d’efficacité de l’administration sur la base desquelles reposent les recrutements par la voie de concours.

52      Cela étant, afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il importe de relever qu’il ressort des éléments mis à la disposition de la Cour que le préjudice subi du fait de la discrimination alléguée par la requérante au principal par rapport aux travailleurs à durée indéterminée semble tenir à la circonstance que sa catégorie de rémunération a été déterminée non pas en application des dispositions nationales applicables à la date de son engagement à durée indéterminée, le 1er septembre 2011, mais en application de dispositions ultérieures en vigueur à la date de la décision par laquelle l’administration a procédé à la reconstitution de sa carrière, à savoir le 8 septembre 2014. Bien que disposant, à la date de son engagement à durée indéterminée, d’une ancienneté supérieure à trois ans la rendant éligible au deuxième grade du barème de classement alors en vigueur, la requérante au principal n’a pas bénéficié de l’application des dispositions transitoires liées à la modification de ce barème à compter du 1er janvier 2012 et ce, alors même que ces dispositions transitoires visaient à assurer le maintien en grade des travailleurs relevant, à cette date, du deuxième grade. La Cour n’ayant pas été interrogée sur ce point par la juridiction de renvoi, il appartient à cette dernière de vérifier, le cas échéant, si une telle application rétroactive du nouveau barème de classement est conforme aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

53      Il s’ensuit que, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, les éléments invoqués par le gouvernement italien pour justifier la différence de traitement entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée constituent une « raison objective », au sens de la clause 4, points 1 et/ou 4, de l’accord-cadre.

54      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui, aux fins du classement d’un travailleur dans une catégorie de rémunération lors de son recrutement sur titres en tant que fonctionnaire statutaire, prend en compte les périodes de service accomplies au titre de contrats de travail à durée déterminée de manière intégrale jusqu’à la quatrième année et, au-delà, de manière partielle, à concurrence des deux tiers.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui, aux fins du classement d’un travailleur dans une catégorie de rémunération lors de son recrutement sur titres en tant que fonctionnaire statutaire, prend en compte les périodes de service accomplies au titre de contrats de travail à durée déterminée de manière intégrale jusqu’à la quatrième année et, au-delà, de manière partielle, à concurrence des deux tiers.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.