La Cour des comptes consacre une partie de son rapport public annuel au numérique au service de la transformation de l’action publique

Paru dans le N°120 - Février 2020
Transformation publique

La Cour des comptes a publié son rapport public annuel au titre de l'année 2020. Pour la première fois, plusieurs chapitres sont consacrés à une thématique transversale unique : « le numérique au service de la transformation de l'action publique ». Le rapport démontre, par l'analyse de neuf réformes menées par des administrations, que le numérique constitue un levier majeur de la transformation publique.
 
  1. La dématérialisation de la délivrance des titres par les préfectures :
La Cour des comptes examine d’abord la réforme de la délivrance des titres dans le cadre du Plan Préfecture Nouvelle Génération (PPNG). Cette réforme a consisté à remplacer l’accueil au guichet et le traitement des dossiers par des procédures numériques pour la demande et la délivrance des cartes nationales d’identité, passeports, permis de conduire et certificats d’immatriculation des véhicules. Le rapport dresse un bilan globalement positif de la réforme. Ainsi, la Cour considère que le projet PPNG « offre l’exemple d’une dématérialisation, largement effective, d’un service public de masse ». Elle estime à 70,4 millions d’euros le gain net lié aux 1 300 suppressions de postes occasionnées par la réforme, une fois déduits les coûts directs liés au « repyramidage » c’est-à-dire la transformation de certains emplois en emplois supérieurs. De plus, elle note que l’accès au service s’est généralement amélioré et que la réforme a été accompagnée de nouveaux outils de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité. Toutefois, la Cour constate plusieurs faiblesses au départ de la mise en œuvre du projet, notamment une « insuffisante prise en compte des difficultés d’accès de certaines populations aux services numériques » ainsi qu’un redéploiement non optimal des effectifs, y compris sur certaines missions considérées comme prioritaires, tels que le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire. Ces faiblesses s’expliqueraient essentiellement par la contrainte de temps qui a pesé sur la conduite de cette réforme. La Cour suggère que des leçons soient tirées des limites ainsi constatées, notamment pour que la qualité du service rendu aux usagers soit placée au cœur des prochaines étapes de transformations numériques.
 
  1. La transformation numérique au ministère de la transition écologique et solidaire :
La Cour des comptes décrit de nombreux exemples de projets de transformation numérique engagés et développés par le ministère, à destination d’autres administrations, d’entreprises ou du grand public. Elle note également que le nombre de téléprocédures développées par le ministère augmente, par exemple pour traiter les demandes de certificat de qualité de l’air (Crit’air). Toutefois, les téléprocédures ne représentent que 12% des démarches administratives proposées par le ministère, et la Cour recommande que la démarche de dématérialisation soit approfondie. Elle recommande enfin au ministère de se doter d’outils de suivi et d’évaluation de ses projets de transformation numérique, notamment pour évaluer leur impact environnemental.
 
  1. Le dossier pharmaceutique
Le dossier pharmaceutique a été créé par la loi n°2007-127 du 30 janvier 2007 ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé. Il a été développé et géré par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP). Le socle du système informatique lié au dossier pharmaceutique est le DP-Patient qui permet aux pharmaciens et à certains médecins d’accéder à l’historique des médicaments délivrés aux patients en officine au cours des quatre derniers mois.

La Cour des comptes salue le déploiement rapide du dossier pharmaceutique, la capacité du CNOP a anticipé les potentialités de l’outil en amont de la réforme, ainsi que la qualité de l’outil informatique développé. Selon le rapport, l’outil reste toutefois perfectible : seulement 60% de la population dispose d’un dossier pharmaceutique actif, et l’information des patients sur le dispositif reste insuffisante. De plus, la carte vitale étant nécessaire pour ajouter des éléments au dossier pharmaceutique, celui-ci ne recense pas les médicaments issus de l’automédication, conseillés par le pharmacien ou prescrits mais non remboursés. La Cour formule donc plusieurs propositions pour que le dossier pharmaceutique soit généralisé : elle se prononce notamment pour que le dossier soit automatiquement créé, sauf opposition de l’usager. Elle encourage également les établissements de santé à alimenter le dossier pharmaceutique. Enfin, le rapport se prononce en faveur d’une complémentarité entre le dossier pharmaceutique et le dossier médical partagé, qui sera créé pour chaque patient à compter du 1er janvier 2021 conformément à la loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
 
  1. Les services numériques de Pôle emploi :
Face à un nombre de demandeurs d’emploi croissant, Pôle emploi a renforcé ses services numériques à leur attention depuis 2015. Ainsi, une partie des tâches que Pôle emploi assurait sont désormais effectuées par les demandeurs d’emploi eux-mêmes, par exemple leur inscription et l’actualisation mensuelle. Ce transfert des tâches a permis aux agents de Pôle emploi de moduler l’accompagnement en fonction des besoins des demandeurs d’emploi, et de le renforcer auprès de ceux qui rencontrent le plus de difficultés. Une part grandissante des demandes relatives à la gestion des allocations est désormais automatisée, ce qui a permis, entre 2014 et 2018, une diminution du nombre d’ETP consacrés à l’indemnisation (-12,6%) et une augmentation des ETP chargés du suivi et de l’accompagnement (+9,6%). En parallèle Pôle emploi a développé ses services numériques à destination des entreprises, par exemple pour qu’elles puissent rechercher des profils et prendre contact avec les candidats.

En dépit de ces avancées nombreuses, la Cour des comptes estime qu’une évaluation des apports réels des services numériques à l’amélioration de la qualité de service envers les demandeurs d’emploi et des entreprises est nécessaire. Elle note par ailleurs que les services d’aide à la recherche d’emploi (« emploi store ») sont faiblement utilisés. La Cour des comptes recommande également à Pôle emploi de mieux détecter les demandeurs d’emploi rencontrant des difficultés dans leur usage du numérique, de rénover ses applications informatiques les plus anciennes et de mieux piloter et structurer les nombreuses données traitées.
 
  1. La numérisation de la demande de logement social :
La procédure d’enregistrement des demandes de logement social peut être réalisée, depuis 2009, via le système national d’enregistrement (SNE) : le demandeur peut y déposer, renouveler et actualiser sa demande. La création de cette procédure nationale « constitue de réels progrès pour l’usager » notamment parce qu’elle permet une uniformisation de la procédure de dépôt et offre donc aux demandeurs une garantie d’équité. La numérisation de ces demandes permet par ailleurs de réaliser des économies sur le coût global de la gestion des demandes. La procédure de dépôt papier reste toutefois disponible, et utilisée pour 65% des premières demandes.

La Cour des comptes identifie cependant plusieurs limites au SNE. Elle note d’abord que les demandes effectuées en ligne sont déclaratives et que les informations qu’elles contiennent ne sont pas vérifiées avant l’inscription des dossiers à une commission d’attribution de logements : des demandeurs inéligibles peuvent donc être comptabilisés. La Cour estime également que le site internet n’est pas suffisamment accessible aux usagers et que l’aide en ligne est insuffisante. De plus, dans la mesure où les bailleurs ne renseignaient pas suffisamment les données, la fonctionnalité permettant aux demandeurs de suivre en ligne l’avancement de leur dossier n’a pas été activée. La Cour recommande d’y remédier.

La Cour des comptes relève que, d’après les statistiques du SNE, les demandeurs qui formulent leur demande en ligne ont moins de chance de se voir attribuer un logement que ceux qui les formulent au guichet et que leur délai d’attribution est plus long. Le rapport souligne enfin que certains bailleurs sociaux privilégient les demandeurs avec lesquels ils ont eu un contact physique et préfèrent utiliser leur propre logiciel de gestion pour les attributions.
 
  1. Les données du ministère de l’agriculture et de l’alimentation
Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation est producteur et utilisateur de grandes quantités de données. Le rapport recense plusieurs exemples d’outils numériques permettant l’exploitation de ces données, par l’administration dans le cadre de procédures existantes ou pour innover et améliorer les politiques publiques, ou pour leur mise à disposition auprès de tiers extérieurs. La Cour des comptes estime toutefois que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation manque « de vision globale » sur l’ensemble de données déjà publiées et exploitées par les opérateurs agricoles, qui pourraient pourtant faire l’objet d’échanges entre systèmes informatiques. De plus, elle lui recommande de recourir davantage à des compétences expertes en traitement de données de masse ou en intelligence artificielle.
 
  1. Les personnels qualifiés des ministères économiques et financiers pour réussir la transformation numérique
Les ministères économiques et financiers sont l’une des administrations qui a le plus recours aux technologies de l’information, notamment dans le cadre de téléprocédures. Ils représentent près du quart des effectifs informatiques de l’Etat. La Cour des comptes note cependant que ces ministères rencontrent des difficultés de recrutement et de fidélisation de spécialistes des systèmes de l’information et de la communication. Elle constate en effet que de nombreux postes ne sont pas pourvus à l’issue des concours et que beaucoup de jeunes ingénieurs ignorent que ces ministères recrutent. Les ministères souffrent d’un manque d’attractivité, notamment parce que les délais de recrutement sont plus longs que dans le secteur privé et les revalorisations salariales pour les agents contractuels sont moins dynamiques. La Cour des comptes formule plusieurs recommandations pour renforcer cette attractivité, notamment le développement d’une meilleure communication sur les métiers informatiques dans les ministères. Elle suggère également d’accroître le nombre d’apprentis et de faciliter leur recrutement pérenne.
 
  1. Le système d’information des ressources humaines du ministère de l’Education nationale
Le programme SIRHEN a été initié par l’Education nationale en 2006 afin de moderniser son système de gestion des RH. Dans un référé de 2016, la Cour des comptes avait constaté des retards et dépassements budgétaires dans le programme, et recommandé au ministère de l’Education nationale de remédier à ces défaillances. En 2018, le programme a été arrêté.

Dans son rapport, la Cour des comptes revient sur les limites du programme SIRHEN. Selon elle, il a été « arrêté sans stratégie de substitution définie ». Si la sécurisation des SIRH historiques a été engagée, la Cour recommande de l’achever pour prévenir tout risque d’accident majeur. Elle recommande qu’une nouvelle trajectoire soit rapidement définie en matière de SIRH, assortie d’objectifs crédibles en matière de délais et de coûts, et accompagnée d’outils simples de suivi des réalisations et des dépenses.
 
  1. Les infrastructures numériques de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI)
La Cour des comptes examine enfin les infrastructures numériques, c’est-à-dire les équipements permettant le transport, l’exploitation et le stockage de données, du MESRI.

La Cour constate que les infrastructures numériques et les moyens associés sont dispersés sur les territoires et entre les établissements, sites ou laboratoires. En effet, elle estime que « le pilotage national de ce secteur reste peu affirmé » et que le ministère « ne dispose pas de vision d’ensemble des moyens existants ». La dispersion des infrastructures numériques entre les établissements a plusieurs limites : par exemple, les salles qui hébergent les équipements demeurent trop nombreuses et trop petites pour garantir un service de qualité. La Cour estime que 93% des établissements n’ont pas de démarche de plan de gestion des données de la recherche. Elle encourage donc la mutualisation des infrastructures numériques. Elle recommande par ailleurs que les établissements identifient précisément les coûts du numérique et de ses infrastructures.

La Cour des comptes considère également que la culture de la sécurité numérique doit être renforcée. Ainsi, seulement 40% des établissements d’enseignement supérieur déclarent disposer d’un document formalisant la politique de sécurité des systèmes d’information. Elle s’étonne par ailleurs que le réseau national de communications électroniques pour la technologie, l’enseignement et la recherche (Renater) ne soit pas soumis aux audits de sécurité de l’agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Elle encourage donc à ce qu’un dialogue de sécurité entre le ministère, l’Anssi et Renater soit instauré.

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