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Le droit de ne pas subir un harcèlement moral, caractérisé en l'espèce par une privation de toute fonction, constitue pour un agent public une liberté fondamentale qui justifie l'injonction en référé faite à son employeur de procéder à son évaluation aux fins de le placer dans une position régulière
CE, 2 octobre 2015, n° 393766
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Le maire de la commune de Mérignac a, par une décision du 11 avril 2011, affecté Mme B., agent titulaire de catégorie B précédemment en poste à la direction des systèmes d'information en qualité de chef de projet fonctionnel, sur un emploi de chargée de mission pour la mise en oeuvre d'un " plan numérique pour tous " placé sous l'autorité directe du directeur général des services. Cette mission s'est révélée sans réelle portée durant quatre années, à l'exception du premier mois d'activité, consacré à la conception d'un stage à destination des personnels communaux en difficulté avec l'outil informatique, le reste de la mission n'a consisté qu'en la planification de quatre stages annuels d'une semaine chacun, pour six agents seulement. Au mois de septembre 2014, cette mission a été confiée à la direction des ressources humaines, Mme B. s'est trouvée, de fait, depuis lors, privée de toute fonction ou activité réelles, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucune procédure disciplinaire.
Interrogé à plusieurs reprises par Mme B. sur son devenir professionnel à partir de l'été 2014, le directeur général des services de la commune s'est borné à lui adresser des réponses d'attente, sans mettre fin à cette situation d'absence de fonctions effectives, qui a eu des répercussions négatives sur l'état de santé de l'intéressée. Deux propositions de postes lui ont finalement été adressées au cours du mois de juin 2015 à effet au 1er janvier 2016, mais l’une était sans rapport avec les compétences dans le domaine de l'informatique de Mme B. et l’autre ne pouvait la concerner, le service dont elle dépendait alors n'entrant pas dans le champ de la mutualisation.
Mme B. a saisi le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Bordeaux, lequel a ordonné le 10 septembre 2015, la suspension de l'exécution des décisions de pré-affectation la concernant, et a enjoint au maire de la commune de Mérignac de procéder, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance, au réexamen de sa situation notamment en procédant à son évaluation au titre de l'année 2014, aux fins de la placer dans une position régulière au regard tant des règles statutaires applicables que des besoins du service et de ses aptitudes professionnelles.
La commune de Mérignac, après avoir de nouveau affecté Mme B. à la direction des services informatiques de la commune, par une décision du 10 septembre 2015, a demandé au juge des référés du Conseil d’État d’annuler l'ordonnance du juge du référé-liberté du tribunal administratif de Bordeaux.
Le Conseil d'État a considéré que le maintien d'un agent public pendant une période de trois ans dans un emploi sans véritable contenu puis, pendant une année supplémentaire, en dépit de demandes répétées de nouvelle affectation de sa part, dans une situation dans laquelle plus aucune mission effective ne lui était confiée, suivi de propositions de postes ne correspondant ni à ses qualifications, ni à ses compétences, formulées dans le cadre d'un processus de transfert de services vers un EPCI ne concernant pas la direction dans laquelle cet agent est affecté caractérise, de la part de l'autorité municipale, des agissements constitutifs de harcèlement moral et une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue le droit, pour tout agent public, de ne pas y être soumis. La requête de la commune de Mérignac est donc rejetée.
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L'absence de perte de responsabilité fait partie des éléments qui doivent être examinés par le juge pour caractériser une mesure d'ordre intérieur
CE, 7 octobre 2015, n° 377036
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Mme B., professeure des universités - praticienne hospitalière s'est vue retirer sa responsabilité de référent de l'unité d'activité médicale clinique d'odontologie pédiatrique par son supérieur hiérarchique par une décision du 14 juin 2010. Elle a fait un recours hiérarchique en annulation, puis un recours contentieux. Le tribunal administratif a rejeté son recours pour irrecevabilité au motif que la décision attaquée était une mesure d'ordre intérieur, en se fondant uniquement sur le fait que la décision en cause n'avait pas modifié sa rémunération, ni porté atteinte à son statut de professeur des universités-praticien hospitalier, ni porté aucune atteinte à ses perspectives de carrière ou à une garantie attachée au déroulement de celle-ci, sans examiner si la décision en cause avait pour conséquence la diminution de ses responsabilités.
Elle a fait appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Douai, qui a transmis la requête au Conseil d'État en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.
Le Conseil d'État annule le jugement du tribunal administratif de Lille pour erreur de droit au motif que l'examen porté par les juges du fond était insufisant. La diminution des attributions et des responsabilités de la requérante est un élément qui suffisait à regarder la décision attaquée comme lui faisant grief. L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Lille.
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Le licenciement pour insuffisance professionnelle d'un fonctionnaire pris en charge par le CNFPT nécessite que l'agent se trouve placé dans une situation de travail permettant l'évaluation de ses capacités professionnelles
CE, 14 octobre 2015, n° 380780
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M. B., attaché principal territorial, a été pris en charge par le centre national de la fonction publique territoriale (ci-après CNFPT) à la suite de la suppression de son emploi et de sa radiation des cadres par la commune dont il dépendait. Par arrêté du 23 décembre 2009, le CNFPT l'a licencié pour insuffisance professionnelle en raison de son inaptitude relationnelle tenant à son incapacité à prouver son niveau d'employabilité de cadre territorial à des employeurs potentiels et à mettre en oeuvre un véritable projet professionnel lui permettant de retrouver un emploi correspondant à son grade. M. B. a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'annulation de cet arrêté, qui a été rejetée. La cour administrative d'appel de Paris a fait droit à la demande de l'intéressé par un arrêt infirmatif, contre lequel s'est pourvu le CNFPT.
La haute juridiction retient, pour rejeter ledit pourvoi, que le licenciement pour insuffisance professionnelle d'un fonctionnaire territorial pris en charge par le CNFPT, prononcé sur le fondement de l'article 93 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, implique qu'il se trouve placé, pendant sa période de prise en charge, dans une situation de travail permettant l'évaluation de ses capacités professionnelles par le CNFPT.
Dans la mesure où cet agent ne se trouvait pas dans une telle situation de travail, seul le III de l'article 97 de la loi précitée pouvait s'appliquer : il dispose que le licenciement peut intervenir après "trois refus d'offre d'emploi correspondant à son grade, à temps complet ou à temps non complet selon la nature de l'emploi d'origine, transmise par une collectivité ou un établissement au CNFPT". Le licenciement est en l'espèce annulé.
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Procédure disciplinaire : deuxième convocation régulière du conseil de discipline lorsque la première a été viciée
CE, 14 octobre 2015, n° 383718
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Le maire de Paris a révoqué un secrétaire administratif affecté au centre d'action sociale de la ville de Paris. L'agent a contesté cette sanction discplinaire et le tribunal administratif a rejeté ses demandes, lesquelles ont été accueillies en appel. La commission administrative paritaire siégant en conseil de discipline avait été réunie, en méconnaissance du délai de quinze jours qui s'impose entre la présentation de la lettre de convocation et la réunion de ce dernier, en vertu de l'article 6 du décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 modifié relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux. Un second conseil de discipline a été convoqué dans des conditions régulières pour recueillir son avis. La cour administrative d'appel de Paris annule le jugement du tribunal administratif sur le fondement du détournement de procédure, suite à la convocation du second conseil de discipline. Elle enjoint à la mairie de Paris de procéder à la réintégration de l'agent.
Les juges de cassation retiennent a contrario que le respect de ce délai est une formalité substantielle dont la méconaissance vicie la procédure disciplinaire, en privant le fonctionnaire poursuivi d'une garantie. Il en ressort que l'autorité administrative était tenue de convoquer une nouvelle réunion du conseil de discipline afin de recueillir l'avis de cette instance dans des conditions régulières. Le Conseil d'État, pour annuler cet arrêt du 17 juin 2014 pour erreur de droit et renvoyer les parties devant la juridiction d'appel, énonce qu'aucun principe général ni aucun texte ne font obstacle à ce que l'employeur saississe à nouveau une commission administrative paritaire siégant en conseil de discipline, pour avis se substituant au premier, sur le principe et le type de sanction disciplinaire, en l'absence de détournement de procédure.
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AJCT, n° 10 / 2015 "La valeur juridique de la fiche de poste", par Samuel Dyens, pp. 503 à 505
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AJCT, n° 10 / 2015 "Discipline : focus sur la procédure de suspension", par Olivier Didriche, pp. 506 à 510
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AJCT, n° 10 / 2015 "Le renforcement du contrôle du juge sur la proportionnalité des sanctions infligées aux agents publics : deux ans d'application de la jurisprudence DAHAN", par Gilles Le Chatelier, pp. 511 à 513
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