Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 10/07/2017, 389288, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une décision n° 389288 du 23 octobre 2015, le Conseil d'Etat n'a admis les conclusions du pourvoi de Mme A...qui tendent à l'annulation de l'arrêt n° 14BX02356 du 10 février 2015 de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'en tant qu'il s'est prononcé sur le préjudice invoqué par l'intéressée résultant de la perte du droit à pension de retraite civile des fonctionnaires.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mme A...;




1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...a été recrutée, à compter du 15 août 1973, en qualité d'agent contractuel afin d'assurer le gardiennage de l'école nationale de l'aviation civile. Après avoir été titularisée à compter du 1er janvier 1985 dans le corps des agents des services techniques de l'aviation civile, elle été placée, à sa demande, en position de disponibilité à partir du 1er septembre 1986. En 1998, elle a sollicité, à plusieurs reprises, sa réintégration dans son corps d'origine. Sur sa demande, le tribunal administratif de Toulouse a estimé, par un jugement du 26 avri1 2011, que l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne la réintégrant pas dans son corps d'origine à compter du mois de février 1998. Il a condamné l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros au seul titre du préjudice moral et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande indemnitaire qui portait, notamment, sur une perte du droit à pension de retraite civile des fonctionnaires.

2. Par un premier arrêt du 2 octobre 2012, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a fait droit à l'appel formé par l'intéressée contre ce jugement qu'en ce qui concerne les intérêts relatifs à l'indemnisation accordée en première instance. Par une décision du 23 juillet 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il avait rejeté le surplus des conclusions de cet appel. Sur renvoi prononcée par cette décision, la même cour a, par un second arrêt du 10 février 2015, condamné l'Etat à verser, en outre, à l'intéressée une somme, avant intérêt, de 28 836 euros en réparation du préjudice financier qu'elle avait subi et a rejeté le surplus des conclusions d'appel relatif, notamment, à la perte du droit à pension précitée. Par une décision du 23 octobre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a admis le pourvoi de Mme A...dirigé contre cet arrêt qu'en tant qu'il s'est prononcé sur ce dernier préjudice.

3. A l'appui des conclusions restant en litige, Mme A...a soutenu devant les juges du fond que le refus fautif de la réintégrer dans son corps d'origine avait eu pour effet d'empêcher la finalisation de la validation des services qu'elle avait effectués en qualité d'agent contractuel au sein de l'école nationale de l'aviation civile et l'avait, ainsi, privée du bénéfice du régime de retraite civile des fonctionnaires. En appel, elle a produit, en ce sens, une décision du 13 septembre 1987 par laquelle le ministre chargé des transports lui avait indiqué que ces services étaient " validables " et a soutenu que cette décision était créatrice de droits.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que Mme A...n'aurait pu, même si elle avait fait l'objet d'une réintégration dès 1998, totaliser les quinze années de service requises pour pouvoir bénéficier d'une pension civile de l'Etat, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la seule circonstance qu'aucun arrêté ministériel n'était intervenu pour autoriser la validation de services accomplis, en qualité de contractuel, à l'école nationale de l'aviation civile. En s'abstenant de répondre au moyen invoquant le caractère créateur de droit de la décision du 13 septembre 1987, qui n'était pas inopérant, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, Mme A...est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur le préjudice restant en litige.

5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond dans cette mesure.

6. Aux termes de l'article L. 4 du code des pensions civiles et militaires de retraite alors applicable : " Le droit à la pension est acquis : / 1° Aux fonctionnaires après quinze années accomplies de services civils et militaires effectifs ; (...) ".

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la date de sa mise à la retraite le 1er octobre 2004, Mme A...avait accompli une année et huit mois de services effectifs en qualité d'agent des services techniques de l'aviation civile. Toutefois, par une décision du 13 septembre 1987, le ministre chargé des transports a indiqué à Mme A...que les services qu'elle avait accomplis du 15 août 1973 au 31 décembre 1984 au sein de l'Ecole nationale de l'aviation civile, soit onze années, quatre mois et quinze jours, étaient " validables " pour la constitution de ses droits à pension de retraite civile des fonctionnaires. Cette décision, devenue définitive, a créé des droits au profit de l'intéressée. Si, en réponse à une demande de renseignements qu'elle avait adressée à l'administration, le ministre chargé des transports lui a indiqué, par lettre du 14 mai 2004, qu'aucun arrêté n'autorisait la validation des services accomplis auprès de l'Ecole nationale de l'aviation civile, cette lettre n'a pas eu pour objet, et n'aurait d'ailleurs pas pu avoir légalement pour effet, de procéder au retrait de la décision créatrice de droits du 13 septembre 1987.

8. En second lieu, ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel de Bordeaux, l'Etat a commis une faute, de nature à engager sa responsabilité, en ne réintégrant pas Mme A...dans son corps d'origine à compter du mois de février 1998 jusqu'à sa radiation des cadres en 2004. Cette faute, qui a empêché l'intéressée de totaliser, compte tenu des services accomplis par ailleurs comme contractuelle puis comme titulaire, quinze années de services civils effectifs en application des dispositions de l'article L. 4 du code des pensions civiles et militaires de retraite citées au point 6, doit être regardée comme ayant privé Mme A...d'une chance sérieuse d'obtenir le bénéfice du régime des pensions civiles de retraite. Par suite, Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a jugé que son chef de préjudice de perte du droit à pension civile de retraite n'était pas établi.

Sur l'évaluation du préjudice subi par Mme A...:

9. Il résulte de l'instruction qu'en l'absence de faute de l'Etat, Mme A...aurait pu, compte-tenu de l'indice majoré qu'elle aurait détenu le 1er octobre 2004, bénéficier d'une pension annuelle de 6 406,60 euros, correspondant au minimum de pension applicable aux agents qui totalisent moins de vingt-cinq années de services effectifs, en application de l'article L. 17 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Pour l'appréciation du préjudice subi par MmeA..., il y a lieu de tenir compte, du différentiel entre ce montant annuel et le montant annuel de la retraite qui lui est versée par le régime général, de l'espérance de vie des femmes établie par l'INSEE pour l'année correspondant à la date de son départ en retraite et des cotisations que l'intéressée aurait dû verser rétroactivement au titre de la validation des services qu'elle a accomplis comme contractuelle. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 25 000 euros.

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

10. Mme A...a droit, ainsi qu'elle le demande, aux intérêts au taux légal sur les sommes qui leur sont dues à compter du 18 avril 2008, date à laquelle sa demande de réparation est parvenue à l'administration. Elle a demandé, par un mémoire enregistré devant le tribunal administratif de Toulouse le 21 mars 2011, la capitalisation des intérêts. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à sa demande tant à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions de Mme A...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à MmeA..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative de Bordeaux du 10 février 2015 et le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 26 avril 2011 sont annulés en tant qu'ils se sont prononcés sur le préjudice invoqué par Mme A...résultant de la perte du droit à pension de retraite civile des fonctionnaires.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A...une indemnité de 25 000 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 18 avril 2008. Les intérêts échus à la date du 21 mars 2011 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B...C...A...et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

ECLI:FR:CECHR:2017:389288.20170710
Retourner en haut de la page