Loi « anti-cadeaux » : une condamnation exemplaire dans le secteur dentaire

La Cour d’appel de Paris vient d’infliger de lourdes amendes à un groupe de vente de matériel dentaire pour avoir mis en place un système de fidélisation des chirurgiens-dentistes par l’octroi de cadeaux. Pour lutter encore plus efficacement contre ces pratiques prohibées, un renforcement du cadre juridique a déjà été amorcé et entrera en vigueur au plus tard en juillet 2018. Ce cadre contribuera à une meilleure prévention des conflits d’intérêts et à une meilleure régulation des avantages commerciaux accordés aux praticiens afin de garantir aux patients une offre de soin de qualité.

© Phovoir

Deux sociétés spécialisées dans la vente de matériel dentaire ainsi que leur dirigeant commun viennent d’être condamnés[1] pour infractions à la législation dite « anti-cadeaux ». Des amendes allant de 40 000 euros à 75 000 euros ont été prononcées.

Ces opérateurs appartenant au même groupe, l’un des plus importants du secteur, ont été reconnus coupables d’avoir proposé et fourni à de nombreux chirurgiens-dentistes, pendant la période de 2009 à 2013, des avantages en contrepartie de l’achat de matériels dentaires.

Des offres « alléchantes », mais prohibées, pour fidéliser les abonnés

Ce programme de fidélisation offrait aux abonnés (8 000 chirurgiens-dentistes), en contrepartie de l’achat de matériel dentaire, des avantages de manière directe ou indirecte via le cumul de  points convertibles en divers cadeaux (cave à vins, GPS, montres, bijoux…)  ou en l’octroi de produits gratuits aux conjoints des chirurgiens-dentistes ou à leurs assistants. Un voyage à New-York avait notamment été proposé aux clients en échange d’un certain montant d’achat de matériel. Ce dernier avait recueilli 1 200 inscriptions.  

Or, en raison des mauvais rapports entre la société de fourniture dentaire et son prestataire de voyage, l’offre a été annulée. C’est à cette occasion que l’enquête a été lancée. En effet, des praticiens, mécontents de n’avoir pas pu profiter du voyage, ont formulé des réclamations auprès des services de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de Paris.

Par ailleurs, un signalement, pour pratiques commerciales non conformes à la législation anti-cadeaux, effectué par une association d’orthodontie auprès du commissaire aux comptes du groupe incriminé, a confirmé la nécessité de lancer des investigations.

Un dispositif juridique rénové pour mieux encadrer les avantages commerciaux

La condamnation prononcée à l’encontre de ces entreprises représente une avancée importante. En effet, peu de décisions ont été rendues récemment sur le fondement de la législation anti-cadeaux[2], et cette affaire est une première dans le secteur de la fourniture de matériel dentaire.

Par ailleurs, le législateur a souhaité renforcer encore la réglementation : une refonte[3] importante du dispositif « anti-cadeaux » a donc été entreprise. Désormais, tous les produits de santé à visée médicale sont concernés par ce dispositif et non plus seulement les produits remboursés.

En outre, le nouveau texte harmonise et met en cohérence les dispositifs « anti-cadeaux » et « transparence[4] », mis en place à la suite de l’affaire du Médiator[5] en 2011. Les entreprises fabriquant et commercialisant des produits de santé, ont l’obligation, depuis cette date, de déclarer les montants des avantages qu’elles versent aux professionnels de santé, sur une base accessible au public et consultable à l’adresse : www.transparence.gouv.fr. Ainsi, les autorités peuvent surveiller les pratiques des opérateurs économiques en matière d’octroi d’avantages autorisés, les cadeaux étant par principe interdits ou devant rester d’une valeur négligeable.

En matière de fourniture dentaire, une consultation de la base «  transparence » démontrait encore récemment la présence d’avantages versés à des chirurgiens-dentistes sous la mention « cadeaux »[6].

Au regard de ces informations, la surveillance de ce secteur par la DGCCRF sera maintenue. Des actions pédagogiques auprès des praticiens seront par ailleurs entreprises, en prenant l’attache de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, afin de promouvoir l’appropriation, par les acteurs économiques, de ces règles de prévention des conflits d’intérêts.

 

[1] Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 29 mars 2017.

[2] TC Nanterre, 21 février 2014, 100.000 euros d’amende à l’encontre des laboratoires Servier pour l’organisation d’un séminaire médical fastueux en Italie.

[3] Ordonnance n°2017-49 du 19 janvier 2017 prise en application de la loi de modernisation du système de santé. Elle entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2018.

[5] Le Mediator, mis au point par les laboratoires Servier, est un médicament présenté comme un antidiabétique utilisé comme coupe-faim, commercialisé à partir de 1976 et retiré du marché en 2009 compte tenu des risques d’accidents cardiaques liés à la consommation de ce médicament.

[6] Près de 80 en 2016, de l’ordre de 400 en 2015 et proche de 650 en 2014 – pour une valeur moyenne de 89 euros en 2016 soit en légère augmentation par rapport à 2015 où ils étaient de 70 euros mais en régression par rapport à 203 et 2014 où ils étaient de l’ordre de 200 euros.

 

Que dit le législateur ?

Le dispositif « anti-cadeaux » interdit à toute entreprise fabriquant ou commercialisant des produits  de santé remboursés par la sécurité sociale de proposer ou d’offrir des avantages directs ou indirects aux professionnels de santé qui prescrivent et délivrent ces produits, à l’exception d’avantages autorisés pour des raisons professionnelles ou de cadeaux de valeur négligeable. Symétriquement, il interdit aussi aux professionnels de santé de recevoir de tels avantages ou cadeaux.

Le fait d’offrir ou d’accepter les avantages ou cadeaux est constitutif d’un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (montant multipliable par
5 pour les personnes morales).